Une première aujourd’hui pour Conso-Mag avec la publication d’une double critique sur le film La Vie d’Adèle, histoire de vous donner l’avis de deux de nos chroniqueurs, Malorie et Fabien.
La Vie d’Adèle – critique de Malorie
La Vie d’Adèle est l’un de ces films qui vous fait oublier le temps, qui vous transporte, qui vous trouble et qui vous marque au point de laisser une trace indélébile… car non, nous ne sortons pas indemne de 2h59 de film. Alors, laissons de côté les débats et polémiques qui gravitent et ne cessent de bousculer cette œuvre d’art. Parlons simplement de cinéma.
Comme dans ses films précédents, Kechiche nous délivre un scénario et des dialogues qui sonnent juste, qui sont vrais et qui font mouche. Drôles, touchantes, criantes de vérité, les répliques (qui laissent une grande place à l’improvisation et à l’incertitude de la parole adolescente) dépeignent parfaitement notre époque, nos codes moraux, sociaux, sans pour autant tomber dans le diagnostic méticuleux d’une génération perdue. Car il faut se le dire, la caméra de Kechiche n’est pas là pour juger, ni pour donner son avis, ni même pour s’engager politiquement, elle est simplement là pour nous faire (re)vivre un coup de foudre, un premier amour dicté par une passion charnelle. Il s’agit bien d’une histoire d’amour, et non d’un film engagé pour la cause homosexuelle ; d’ailleurs, il est difficile de dater le déroulement de l’action, et même si nous sommes plongés à plusieurs reprises dans l’univers LGBT via la Gaypride et les bars, il n’y a aucune revendication sexuelle de la part d’Adèle, ni même de la caméra : la jeune fille s’amuse et découvre un monde qu’elle ne connaissait pas, et c’est exactement ce que la caméra nous montre : le rite de passage d’une adolescente qui se cherche, qui se découvre, et qui devient femme.
Il est important de dire que ce film traite de l’amour et non de l’amour lesbien car il soulève un certain nombre de questions existentielles (et par définition universelles), et plus particulièrement, il permet de mettre l’accent sur ce passage délicat et complexe de l’adolescence à l’âge adulte. Le personnage d’Adèle est un condensé de cette complexité. Nous suivons la jeune fille de sa majorité sexuelle à son entrée dans la vie active : il y a des zones d’ombre dans le scénario, des questions laissées sans réponse, ce qui se traduit par une grande difficulté, pour le spectateur, à cerner les envies et les attentes d’Adèle : on apprend par Emma qu’elle aime écrire, qu’elle a du talent mais qu’elle ne cherche pas à se faire publier : que veut-elle réellement ? Quelles sont ses véritables passions (en dehors de sa passion amoureuse) ? Son travail d’institutrice lui convient-il ? Est-elle épanouie ? Nous ne le savons pas. Le personnage d’Adèle nous renvoie finalement à notre propre condition : certains trouveront la référence à Sartre un peu surfaite mais je trouve au contraire qu’elle permet de mettre en évidence la notion du devenir et de l’accomplissement de soi qui est, je crois, au centre du propos de Kechiche. Nous ne savons pas si Adèle est heureuse, ce qu’elle attend de la vie, nous devinons simplement qu’à la fin du film, elle a grandi et que ce coup de foudre inattendu a été très utile, en lui donnant confiance en elle et en lui remplissant le cœur : lorsque nous la quittons, nous sommes sereins (mais malgré tout déçus) car nous sentons qu’elle entre paisiblement dans l’âge adulte et qu’elle est prête à affronter le monde.
Qu’en est-il du sexe et du rapport au corps ? Eh bien non, les longues scènes de sexe ne sont pas gratuites : Kechiche n’a pas voulu se/nous rincer l’œil en réalisant l’un des grands fantasmes masculin : les gros plans sur leurs parties intimes, leurs bouches avides et leur regard pétillant pourraient faire penser au film érotique, pourtant il n’en est rien. Les scènes sont très bien amenées et nous comprenons pourquoi elles sont là. Les deux jeunes femmes sont issues de classes sociales très différentes et n’ont pas vraiment les mêmes centres d’intérêt. On constate que leurs échanges sont très limités, elles ne cherchent pas vraiment à se découvrir mutuellement, elles se racontent, chacune leur tour, et ramènent sans cesse le dialogue à un sujet qui les préoccupe : Emma parle de Sartre, Adèle parle de Bob Marley, Emma a des soucis avec sa galerie, Adèle lui répond qu’elle aussi a des problèmes avec ses collègues, Emma parle peinture avec ses amis, Adèle sert à boire aux convives pour éviter les conversations sur l’art auxquelles elle ne trouve pas grand intérêt. Cela ne veut pas dire que leur histoire repose entièrement sur le sexe et qu’il s’agit uniquement d’une attirance physique, bien au contraire. Je crois que, au regard de leur grandes différences, leur amour (véritable !) ne peut se déployer que lorsqu’elles se retrouvent dans l’intimité et qu’elles se taisent : elles sont alors dénudées (dans tous les sens du terme), elles sont vraies, elles s’oublient et font tomber les codes sociaux. C’est pourquoi, à partir du moment où Emma ne veut pas s’offrir à elle, leur relation bat de l’aile : leur amour (qui ne disparaît pas) se perd simplement, il ne sait plus comment s’exprimer.
Finalement, ce film s’apparente à un docu-fiction: les scènes du lycée et des discussions adolescentes, celles de la maternelle, les scènes de dispute, les gros plans d’Adèle en train de manger des pâtes atteignent un tel degré de réalité qu’il est difficile de rester en dehors du film et tout le monde pourra s’identifier, pourra y trouver du grain à moudre. D’autant que la qualité esthétique ne fait aucun doute : la luminosité est incroyable, les plans sont millimétrés, la musique (toujours intradiégétique) est parfaite et tout arrive au bon moment, comme le soleil qui vient éclairer les deux bouches qui se mêlent. La Vie d’Adèle est un grand film, Abdelatif Kechiche est un grand réalisateur, longue vie au cinéma d’auteur !
La Vie d’Adèle – critique de Fabien
Le film est écrit et réalisé par Abdellatif Kechiche, auteur entre autre de L’esquive, récompensé aux oscars en 2005 et encensé par la critique mais très mal reçu par les spectateurs. Souvenez de ce film, les dialogues avaient l’impression d’avoir été écrits par le grand philosophe urbain Booba et le jeu des acteurs ressemblait étrangement à un casting du Jamel Comedy Club, le talent en moins, c’est vous dire l’ambiance du film.
Le film est également interprété par une novice, en la personne d’Adèle Exarchopoulos, et par Léa Seydoux, une actrice qui comble son manque de talent par ses liens familiaux. En effet, cette dernière est la petite fille et petite nièce des patrons de Pathé et de Gaumont, deux géants de la production et de la distribution.
Bref, je me rends donc au cinéma avec ces quelques informations en tête, dues à une culture générale assez extraordinaire, je dois bien l’avouer. Malgré tout, j’essaye de me dire qu’après tout, Spielberg en personne a remis la Palme d’Or en disant que c’était une merveilleuse histoire d’amour qu’il allait montrer à ses enfants. Je pense donc me rendre à la diffusion d’un film tout aussi grandiose que l’était le secret de Brokeback Mountain, qui avait ému le monde entier et bon nombre d’hétéros comme moi. Et bien en fait, bah non, pas du tout même. La Vie d’Adèle est loin d’être un chef d’œuvre, c’est un vulgaire film érotique d’M6 entrelacé de scènes pseudos intellectuelles. Alors je ne sais pas quel âge ont vos enfants mon cher Steven mais je pense que les services sociaux vous rendront une petite visite si vous osez leur montrer cette « chose ».
En effet, ce film est une véritable déception. Le réalisateur a voulu trop en montrer mais le comble c’est qu’on en voit pas suffisamment. On a des tas de gros plans notamment sur les acteurs en train de manger, on peut deviner ce qu’ils mangent tellement la caméra est proche de leur bouche. Mais quelle est l’utilité de ce genre de plan ? Faire comprendre aux spectateurs que nous sommes face à une jeunesse post soixante-huitarde, élevée selon la loi du « il est interdit d’interdire », autrement dit, oubliez donc vos valeurs mes chers enfants, manger donc la bouche ouverte, parlez en mangeant, mettez les doigts dans votre bouche, laissez couler votre naze et ne vous souciez de rien. Alors peut être que justement l’idée est de dégoûter le spectateur par cette jeunesse sans aucun repère et démunie de toutes valeurs.
Je souhaiterais à présent vous parler des nombreuses scènes de sexe présentes dans le film. Comme pour les scènes de repas interminables, on a droit cette fois ci à des gros plans sur des bites en érection et des cunnilingus prolongés. Je crois qu’il y a 5 scènes de sexe dans le film qui dure environ 5 minutes à chaque fois. C’est long, trop long et finalement très dérangeant. Déjà il n’y a aucune montée de désir entre les deux femmes. On commence à chaque fois les scènes dans le feu de l’action, nue, l’une avec sa langue entre les jambes de l’autre. J’avais lu certains critiques dire que les scènes étaient très esthétiques et bien éclairées. Euh…mais quelles drogues prenez-vous donc pour dire un truc pareil ? C’est aussi esthétique qu’une production de Marc Dorcel, c’est très éclairé, trop éclairé, on voit tout, on voit trop. Il n’y aucune place pour la suggestion et l’imagination du spectateur, c’est juste du voyeurisme malsain. C’est aussi émouvant qu’une Loana qui se fait prendre dans une piscine en plastique. À la limite, le seul intérêt de ces scènes est de permettre aux jeunes lesbiennes d’apprendre à atteindre l’orgasme avec leurs langues et leurs doigts lors d’une multitude de positions. Je finirais en disant que lors de la vison de ces scènes, on ne peut s’empêcher de rire en regardant ses voisins tellement nous sommes gênés que le réalisateur nous offre ce spectacle absolument affligeant qui n’aide pas du tout cette histoire d’amour. Et c’est là finalement qu’est le problème ; on nous vend ce film comme une histoire d’amour avec un grand A mais il n’en est absolument rien et je développerais ma théorie dans les lignes suivantes.
Adèle c’est donc le personnage principal et Emma, c’est la jeune fille aux cheveux bleus qui traversera sa route à un moment donné de sa vie. C’est donc une relation humaine avec ses hauts et ses bas et comme toute relation, il y a des moments où on se quitte, puis on se retrouve. Pour ne pas spoiler le film je n’en dirais pas plus mais je vous dévoilerais juste qu’à un moment de l’histoire, elles se retrouvent après une rupture. On retient de cet échange que la seule chose qui intéresse Adèle, c’est comment se passe la nouvelle relation d’Emma sur le plan sexuel. Et joignant le geste à la parole, elle embrasse cette dernière, prend sa main et la glisse entre ses jambes. C’est là finalement qu’on se rend compte qu’il y a tromperie sur la marchandise parce qu’Adèle n’est pas du tout amoureuse, Adèle est juste attirée sexuellement avec un grand A par Emma. Adèle est une fille perdue, qui a véritablement vibré au contact de sa relation avec Emma mais ce n’est pas ça l’amour. Lorsque tu aimes une personne, tu savoures autre chose qu’une partie de jambes en l’air. Emma, elle, est amoureuse, à sa façon dirons nous. Mais on est très loin de ce que les médias nous ont vendus depuis des mois.
Au début de cette critique, je vous disais que le réalisateur en montrait trop mais en même temps pas assez. Effectivement, on aimerait voir comment Adèle vit sa relation avec Emma auprès de ses amis et de sa famille. On a droit à deux très bonnes scènes sur le sujet et puis plus rien, tous les personnages secondaires (famille et amis) disparaissent soudainement et on doit s’en contenter. Le réalisateur n’a visiblement pas jugé utile de montrer comment Adèle assumait sa relation malgré sa gène du début et c’est bien dommage puisque ça aurait permis au personnage de se construire et d’être finalement plus attachant. À la place, le réalisateur a préféré nous imposer des scènes de débats interminables et sans aucun intérêt entre différents artistes sur tel peintre et tel autre. Rappelez vous du film La cité de la peur où, en plein milieu d’une scène de course poursuite, on voit une femme acheter une baguette de pain au Venezuela, scène complètement hors-sujet et bien là c’est un peu la même chose sauf que ce n’est pas fait exprès. J’avais également lu que le réalisateur avait laissé ses acteurs improviser certaines scènes et adapter certains dialogues et ça se voit vraiment. Ça fait très cache misère, ça parle pour ne rien dire et on perd largement le spectateur qui se demande l’utilité de tel ou tel dialogue.
Je pense avoir fait le tour du film, je vais quand même conclure en donnant quelques points positifs malgré tout. Oui les actrices jouent plutôt bien, oui certaines scènes sont remarquables mais elles sont complètement gâchées parce que la scène suivante est grotesque et ne sert à rien. Il y a encore un gros travail de montage dans ce film, enlevez moi toutes ses scènes porno sans intérêt si ce n’est de satisfaire la perversion des potes de DSK, raccourcissez donc toutes ces scènes de débats et de blabla inutiles ; en gros, il faut virer au moins 1h de plans pour que ça devienne un bon film.
La triste conclusion de cette critique c’est de me rendre compte que 70 ans après la mort de Goebbels, le cinéma est toujours un outil de propagande à la solde du gouvernement en place. Je rêve d’un monde où les films soient récompensés pour leur aspect artistique et non politique. Pourquoi en pleine période du Mariage Pour Tous, un film aussi inachevé récolte-t-il la Palme d’Or ? N’y avait il rien de mieux ? Serait-ce parce que le milieu du cinéma est fermé et réservé uniquement à une certaine caste bornée vivant dans Paris intramuros et complètement déconnectée de la réalité ?
Peut-être, peut-être…
Histoire de finir néanmoins en beauté, je vous conseille un film de 2007, Naissance des pieuvres de Céline Sciamma, véritable chef d’œuvre peu connu du grand public et qui relate la vie amoureuse d’adolescentes avec leurs doutes et leurs malaises.