Ce n’est pas peu dire que la communauté des joueurs attendait avec une impatience fébrile Aeon’s End, la dernière nouveauté parue chez Matagot. On annonçait celui-ci comme le Messie des jeux de deck-building coopératif. Était-ce présomptueux ? Non, il n’a suffi que de quelques parties pour ployer le genou devant lui et le laisser ceindre la couronne. Voici pourquoi.
Plus personne ne redoute la fin du monde et pour cause, celle-ci a déjà eu lieu. Désormais retranchés dans Gravehold, la dernière cité souterraine encore debout, une poignée de mages fait désormais face à l’extinction pure et simple de l’humanité. Une terrible Némésis multiplie les attaques contre la cité et fait apparaître des serviteurs toujours plus hargneux au travers de différentes brèches. Heureusement, pour leur défense, les mages ont appris à maîtriser ces brèches et les utilisent pour faire pleuvoir les sorts sur la Némésis et ses acolytes. Il s’agit là de leur seule planche de salut. Un combat s’engage, peut-être le dernier.
Un deck-building monstrueux
Aeon’s End est donc un jeu de deck-building coopératif où les joueurs devront s’allier pour détruire la Némésis avant qu’elle-même ne détruise Gravehold (ou ne les détruise eux). Un deck-building comme il en existe plein alors ? Eh bien non, pas du tout. Aeon’s End s’en différencie en bien des points et c’est justement ce qui lui permet de tirer son épingle du jeu.
Déjà, et ça peut paraître surprenant pour les habitués du deck-building, le deck que va se constituer le joueur ne sera jamais mélangé. Les gemmes, les sorts et les reliques qu’il acquerra depuis la réserve en dépensant de l’éther (la monnaie du jeu) ou ceux qu’il aura joués pendant son tour gagneront sa défausse selon un ordre précis. Quand sa pioche sera vide, il retournera sa défausse sans la mélanger et disposera donc d’un deck où l’ordre des cartes sera fonction de ses tours de jeu précédents. C’est très simple mais c’est surtout extrêmement malin. Avec ce système de jeu, le terme deck-building prend tout son sens et le joueur pourra réellement se construire une pioche où il aura couplé certaines cartes qui, jouées ensemble, se révèleront bien plus destructrices. Amis comboteurs, voilà qui va vous plaire !
Ensuite, Aeon’s End casse les codes du traditionnel tour de jeu. Ici, on constitue une pioche pour définir celui qui va jouer. Elle sera composée de quatre cartes pour les joueurs et de deux pour la Némésis. Elle sera aussi remélangée à chaque fois qu’elle sera épuisée. Délicieusement pernicieux, ce mécanisme ajoute une réelle tension à la partie. Il est en effet impossible de prédire qui va jouer et la menace de retourner une carte Némésis alors que vous êtes proches d’expirer vous fera invariablement courir un petit frisson le long de l’échine. De plus, ce côté aléatoire peut tout à coup se révéler impitoyable, dans un sens comme dans l’autre. Si des tours de jeu successifs pourront permettre aux joueurs de se débarrasser plus facilement de l’un ou l’autre serviteur encombrant ou de faire subir de forts dégâts à la Némésis, celle-ci pourrait elle-aussi se voir offrir des attaques en rafale (en jouant jusqu’à quatre fois de suite). De mémoire de mage, on ne connaît aucune équipe qui a pu s’en relever.
Des brouettes de possibilités pour une rejouabilité exceptionnelle
Un des atouts majeurs d’Aeon’s End se situe indéniablement dans l’énorme rejouabilité qu’il offre. Pour commencer, chaque mage débute la partie avec une main de cartes différente et dispose d’un pouvoir unique. Ensuite, pour chaque partie, les joueurs devront constituer la Réserve dans laquelle ils pourront acquérir des gemmes, des reliques et des sorts. Le choix de ceux-ci est à la discrétion du groupe et permettra donc de varier la partie en fonction de l’approche que l’on souhaite y adopter. Enfin, et c’est clairement le plus important, la boîte de base recèle quatre Némésis différentes pour une seule que l’on affronte à chaque partie. Ces différences sont loin d’être seulement cosmétiques car chaque Némésis déclenche un effet particulier lorsqu’elle est déchaînée, vient se mettre en place avec quelques règles additionnelles à intégrer et dispose de cartes Némésis qui lui sont propres pour agrémenter le deck voué à votre perte. A titre d’exemple, Rage Incarnée vous harcèlera sans relâche de frappes issues d’un second deck alors que le Prince des Gloutons grignotera petit à petit votre Réserve, vous privant ainsi de ressources essentielles à sa destruction.
Concrètement, vous pourrez pendant un très long moment enchaîner les parties d’Aeon’s End sans craindre que celles-ci ne deviennent répétitives. De plus, dans sa version anglophone, Aeon’s End dispose de plusieurs extensions, chacune apportant (entre autres) son lot de nouveaux mages et Némésis. Gageons que Matagot ne manquera pas de localiser ces extensions dès qu’Aeon’s End aura connu le beau succès qu’il mérite.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
Paradoxalement, un autre point fort d’Aeon’s End est son degré de difficulté. Très clairement, défendre Gravehold ne s’apparente ni à une promenade de santé ni à un joyeux pique-nique en famille. On y souffre, on y fait face à une féroce opposition et c’est particulièrement jouissif. Vu le challenge proposé, voir la Némésis s’effondrer et savoir que Gravehold (et donc le peu qu’il reste d’humanité) est sauve se révèle particulièrement savoureux.
Evidemment, les concepteurs ne se sont pas contentés d’un seul niveau de difficulté et celui-ci est donc adaptable en fonction des envies ou du niveau des joueurs. Certaines Némésis sont en effet plus coriaces que d’autres et les joueurs inconscients aguerris pourront même leur ajouter des règles additionnelles pour corser le défi qu’elles représentent. D’autres petites adaptations dans les règles sont également prévues pour régler la jauge de la difficulté mais attention, triompher d’une Némésis ne sera jamais simple et c’est tant mieux.
Aeon’s End, l’unanimité faite jeu
Enfin, l’unanimité ou presque. Il existe encore un petit point de débat sur les illustrations du jeu. D’aucuns les trouvent jolies sans être révolutionnaires alors que d’autres estiment qu’elles sont bien dans le thème du jeu et ne constituent pas un bémol à celui-ci. Chez Conso-Mag, nous nous situons plutôt dans la seconde catégorie mais tout cela reste évidemment très subjectif. Quoiqu’il en soit, les illustrations ne freinent en rien le côté très immersif et parfaitement thématisé d’Aeon’s End. Qu’on aime ou qu’on aime moins, ça ne changera pas l’expérience de jeu et le sentiment avec lequel on en ressort.
En revanche, pour tous les autres points que nous avons abordés (mécanismes, rejouabilité, niveau de difficulté, ressenti, etc.), c’est bien une incontestable unanimité que recueille Aeon’s End. A la fois novateur, immersif et relevé, il est sans conteste une des plus belles perles ludiques de cette fin d’année.
Aeon’s End, un jeu signé Matagot
Nombre de joueurs : 1 à 4
Âge : à partir de 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 1 heure
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