Asymétrique mais diablement équilibré, vif, matériel somptueux, … autant vous le dire d’emblée, cet article ne sera pas avare en superlatifs ! Bref, on vous parle de la dernière pépite signée Super Meeple : La Baie des Marchands…
Les embruns qui vous caressent les narines et le bruit des gréments qui s’entrechoquent ne laissent place à aucun doute : des bateaux chargés d’aventuriers approchent du port. Impatient de leur vendre votre camelote marchandise de qualité, vous frappez un dernier grand coup de marteau sur le fer rougeoyant. Sans même prendre le temps d’essuyer la sueur qui ruisselle sur votre front, vous entreposez les armes et les armures que vous venez de confectionner dans votre chariot et vous vous hâtez de prendre le chemin du port. Une fois sur place, vous découvrez avec mauvaise humeur que cette maudite alchimiste s’est octroyé la meilleure place sur les quais et que même le chronomancien est revenu à temps de son saut dans le temps pour proposer ses babioles issues d’on-ne-sait-où. Mais qu’à cela ne tienne, leur présence ne vous empêchera pas de faire des affaires et qui sait, si les ventes tournent à votre avantage, vous pourriez même devenir le marchand le plus riche de toute la baie…
C’est en forgeant qu’on devient forgeron et en anticipant qu’on devient antici… ah ben non, ça ne fonctionne pas avec tout…
Dans la Baie des Marchands, chaque joueur va incarner un commerçant bien décidé à vendre la marchandise qu’il a fabriquée aux aventuriers débarquant sur les quais. Le but : amasser une fortune évidemment ! Ici, chaque marchand a une façon bien à lui de produire ce qu’il compte vendre et dispose d’un plateau personnel pour le faire. Là où l’alchimiste devra trouver la bonne combinaison de billes de couleur, le forgeron jonglera avec les dés tandis que, de leur côté, le chronomancien arpentera des tuiles en compagnie de son assistant et la capitaine explorera les mers à la recherche de trésors (ou de poissons) à revendre.
Le jeu se déroule en trois manches, chacune représentée par un tour d’horloge et le principe en est assez simple. Les marchands mettent à profit leur quota de temps pour produire un maximum de marchandises (ou plus exactement les marchandises qu’ils sont les plus susceptibles de vendre à très bon prix). Ensuite, une fois un tour d’horloge effectué, il s’agira pour les marchands de vendre leurs produits aux aventuriers qui seront entre-temps arrivés sur les quais. Et c’est évidemment là que les romains (et les marchands aussi d’ailleurs) s’empoignèrent car il n’est pas question de vendre n’importe quelle marchandise à n’importe quel aventurier et sur n’importe quel quai… La Baie des Marchands, fière capitale du royaume de l’anticipation…
Elle est belle ma marchandise ! Venez Venez ! Deux achetées et rien de gratuit ! Venez !
Comprenons-nous, bien. Dans la Baie des Marchands, chaque joueur joue donc de façon très différente selon le marchand qu’il incarne. Cela dit, au fur et à mesure qu’ils progressent sur leur tour d’horloge, les joueurs vont aussi être amenés à remplir sur le plateau commun les bateaux qui accosteront et c’est précisément là que la lutte peut s’avérer cruciale. Il faudra en effet que les joueurs s’assurent de disposer des aventuriers des couleurs adéquates sur les bons quais tout en cherchant à priver leurs adversaires de ces privilèges. Le placement des aventuriers dans les bateaux et le choix du quai d’accostage se révèlent donc particulièrement sournois tactiques. Il n’en effet pas de sensation plus agréable pour un marchand que de voir ses concurrents pousser des charrettes remplies d’invendus…
Mais bien évidemment, si le concept de production et de vente de marchandises est donc au cœur du jeu, la Baie des Marchands est aussi bien plus que ça. La mécanique principale a en effet été enrichie par tout un panel de mécaniques connexes qui viennent délicieusement complexifier l’ensemble et en rehausser la saveur (coucou le dilemme de cartes corruption ou la tentation des points de mécénat).
Et sur le filin tendu de l’asymétrie, devinez qui est à l’équilibre ?
Tout en restant parfaitement accessible, la Baie des Marchands se révèle pointu, exigeant et diablement prenant. En permanence, les joueurs comptent le temps qu’il leur reste, tentent de définir la stratégie la plus payante, lorgnent sur les passagers des bateaux et s’inquiètent de voir les étals adverses se garnir trop vite. On réfléchit, on anticipe, on prend des risques, bref, on s’amuse (et même beaucoup).
Néanmoins, tous ces beaux compliments ne serviraient à rien si la Baie des Marchands avait raté son examen final, celui de l’équilibre. En effet, tout joueur le sait, il est ô combien difficile d’équilibrer un jeu à ce point asymétrique. En offrant à chaque joueur des mécaniques de production diamétralement opposées, le jeu prenait le risque de voir tel ou tel marchand gagner presque systématiquement. Fort heureusement, ce n’est pas le cas. Bien sûr, une partie ou l’autre peut tourner à l’avantage d’un des marchands (des dés qui roulent favorablement pour le forgeron ou des billes qui tombent dans le bon ordre pour l’alchimiste par exemple) mais dans l’ensemble, les parties sont âprement disputées et ce, quelque soit les marchands présents sur la ligne de départ. C’est un bon (que dis-je, un excellent) point et il faut le souligner. D’ailleurs, de notre point de vue et dans un autre style, la Baie des Marchands se hisse sans trop de problème à la hauteur de ce que nous considérions comme la référence des jeux asymétriques équilibrés : Root.
Un étal de qualité donc mais qui scintille en plus !
Eh oui, Super Meeple ne s’est pas laissé aller (mais alors pas du tout) à la tentation de sacrifier l’esthétique sur l’autel de la qualité intrinsèque. Le jeu est tout simplement somptueux. Bien sûr, les illustrations de l’incontournable The Mico lui donnent un relief séduisant mais il faut aussi souligner la pléthore de matériel présente dans la boîte de base. Des bateaux transportant les aventuriers aux plateaux personnels en passant par le matériel spécifique à chaque marchand, tout a été soigneusement réfléchi et réalisé. Avec la Baie des Marchands, vous disposez donc d’un jeu aussi qualitatif que chatoyant, aussi addictif que foisonnant !
Vous en voulez plus ? Attendez que je jette un œil dans la réserve…
La boîte de base de la Baie des Marchands propose donc quatre marchands différents mais si vous en voulez plus (et gageons que ce sera le cas quand vous y aurez goûté), quatre extensions sont d’ores et déjà disponibles. Trois d’entre elles proposent chacune un nouveau marchand (doté là aussi d’une mécanique de jeu très spécifique) et il vous sera donc possible d’incarner un aubergiste, une diseuse de bonne aventure (euh pardon, un oracle) et un éleveur de dragons ! La quatrième extension, appelée la cachette secrète, propose quant à elle de nouveaux contenus pour le jeu et vient enrichir le mode solo à l’aide notamment d’un livre de scénarios.
En conclusion
Aussi bon que beau, et en plus doté d’une rejouabilité très large (asymétrie des personnages joués oblige), La Baie des Marchands vient bousculer la scène ludique et se pose d’ores et déjà en candidat sérieux à toute une brouette de prix à venir (on spécule mais on y croit). Un must-have, tout simplement…
La Baie des Marchands, un jeu de Jonny Pac, Drake Villareal et Carl Van Ostrand, illustré par The Mico et édité par Super Meeple.
Nombre de joueurs : 1 à 4
Âge : dès 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 1h30 à 2h