Il y a peu, nous vous partagions notre première chronique » Une Voix, Un Portrait « , une série de portraits autour des voix du doublage. Après Benoît Allemane (voix de Morgan Freeman), et en attendant de nouveaux portraits à découvrir très prochainement, nous allons aujourd’hui aller à la rencontre de l’Association LesVoix.fr.
LesVoix.fr est une association loi 1901, ayant pour objectif de professionnaliser l’activité de la voix enregistrée, que ce soit pour des publicités commerciales ou institutionnelles, ou pour le doublage de cinéma et de télévision. Aussi, il s’agit d’un site internet sur lequel les comédiens adhérents bénéficient de leur propre page de présentation. C’est de cette manière que nous avons d’ailleurs pu contacter les différents comédiens de doublage que vous allez découvrir dans nos prochains portraits.
Kester Lovelace, comédien anglophone, et vice-président de l’association, a accepté de répondre à nos questions, et de nous permettre, pendant un instant, de découvrir l’activité de la voix enregistrée. Nous le remercions chaleureusement pour sa disponibilité et ses explications claires.
Matthieu Palmieri : Pour débuter, puisque tu interviens pour parler de l’association, il serait donc intéressant que tu puisses dire quelques mots sur toi. Une présentation du comédien donc, mais également de ton rôle dans l’association.
Kester Lovelace : « J’ai rejoint l’association LesVoix.fr il y a sept ans, je me suis impliqué au cours des années et je suis actuellement vice-président. Je m’occupe également des comédiens anglophones au sein de l’association, mais nous y reviendrons plus tard.
Professionnellement, je suis comédien depuis 30 ans. La particularité en ce qui me concerne est que j’ai fait toute ma carrière professionnelle en France, bien que je sois un comédien anglophone. J’ai une formation initiale de théâtre et d’enseignement. J’ai commencé mon métier en 1989 en rejoignant une troupe du théâtre anglais en milieu scolaire avec laquelle je suis resté 10 ans. Puis, j’ai créé ma propre troupe pour pouvoir continuer et élargir l’offre dans ce secteur.
Au cours de cette carrière de comédien de théâtre, j’ai pu faire mes premiers pas en studio en tant qu’artiste voix. En particulier pour des séances pédagogiques, c’est-à-dire des enregistrements de dialogues pour les manuels scolaires. Cela m’a permis de connaitre et d’être connu par d’autres studios, et donc de contacter un des agents artistique spécialisé dans la voix enregistrée.
Ensuite, j’ai prêté ma voix pour des publicités, de l’institutionnel, des documentaires, ou des jeux vidéo. Aussi, pendant plus de 10 ans, j’ai été une des voix de l’habillage antenne de la chaîne Eurosport. Actuellement, je suis » la voix du Gouvernement » pour l’alerte Coronavirus sur la ligne 1 du Métro parisien.
Aujourd’hui, je suis toujours comédien mais je suis plutôt orienté sur la mise en scène. Je joue également pour la télévision ou le cinéma lorsqu’il y a besoin de comédiens anglais, et je suis professeur du jeu en anglais pour le Conservatoire National Supérieur de l’Art Dramatique. Enfin, il m’arrive également de travailler en français, notamment pour Radio France pour des fictions lorsqu’il y a besoin de comédiens avec accent pour incarner des personnages anglophones historiques tels que les diplomates et autres hommes politiques, par exemple.
MP : Parlons maintenant de l’Association LesVoix.fr. A l’origine, pourquoi et quand cette structure a été fondée ? Dans quel but ?
KL : Il y a dix ans, une trentaine de comédiens estimaient qu’il était très important d’informer d’autres comédiens mais également l’ensemble de la profession sur la pratique de la voix enregistrée et de l’environnement professionnel. A l’époque, on pouvait vraiment distinguer les comédiens de doublage et les comédiens de la publicité. Dans le doublage cinéma, télévisé, et documentaire, il existait une convention collective au sujet des horaires de travail, les cachets, etc. Mais pour le domaine de la publicité télé, radio, ou institutionnelle, ce n’était pas le cas. Faisant ce constat, des comédiens de la voix enregistrée pour la publicité ont décidé de protéger leur métier pour éviter qu’il ne dégringole en faisant front ensemble pour combattre les quelques dérives qui pouvaient exister et ont donc créé l’association LesVoix.fr.
Durant ces dix dernières années, l’association a travaillé main dans la main avec la SPSP (Syndicat des Producteurs de Sons Publicitaires) et les agents de voix afin d’accoucher d’un contrat type. Ce contrat a notamment permis de mentionner que nous sommes bien des comédiens ou artistes interprètes, de plancher sur des tarifs dits d’usage, et de définir la prestation en studio en liant avec les droits d’auteur qui pourraient s’appliquer si le spot est diffusé pour une durée définie sur un territoire donné. Ainsi, le cachet comprend le tarif de la séance et les droits d’auteur. Ce que l’on note, c’est qu’au fil des années, ce contrat type est utilisé de plus en plus par les producteurs. Dans l’association, nous aimons parler d’écosystème, c’est-à-dire du respect d’une chaîne entre l’annonceur, l’agence de communication, le producteur de son, l’ingénieur du son et le comédien. Chacun doit respecter le métier de l’autre et éviter de vouloir multiplier les casquettes. Pour résumer, l’association permet la professionnalisation de notre activité.
Aussi, notre objectif est de diffuser de l’information et de faire de la transmission. Nous avons à cœur d’aller dans les écoles de théâtre pour échanger avec les nouveaux comédiens qui vont arriver dans la profession, de leur expliquer les bases et les bonnes pratiques de la voix enregistrée.
A ce jour, LesVoix.fr réunit 220 comédiens adhérents. Etre membre des Voix est un gage d’éthique et de fiabilité puisque l’association a acquis une reconnaissance et une crédibilité dans le métier.
MP : L’association dispose d’un site internet sur lequel il est possible de retrouver une multitude d’informations. Concrètement, comment se compose LesVoix.fr ?
KL : Nous proposons aux comédiens adhérents d’héberger leur propre page sur notre site internet. De ce fait, chaque comédien a une page sur laquelle il peut déposer jusqu’à 50 extraits de sa voix, y d’écrire son activité et parler de son actualité, tout en donnant les possibilités d’être contacté. Chaque page a donc une touche personnelle et permet de se faire connaître notamment par les producteurs. Pour ces derniers, un outil casting est d’ailleurs à leur disposition pour rechercher le comédien qui conviendrait à leurs besoins.
Sur le site, on retrouve également de nombreuses informations et documents nécessaires pour la profession, ceux-ci peuvent se révéler bien utiles pour de nouveaux producteurs par exemple. Nous proposons enfin des formations internes, comme pour l’enregistrement de livres audio qui ont ses spécificités.
MP : Quelle est la place des comédiens anglophones dans l’association ?
KL : Nous sommes actuellement 25 comédiens anglophones, et j’essaie d’en inciter davantage à nous rejoindre. Le secteur anglophone de la voix enregistrée est petit mais oblige à savoir tout faire. Si l’on veut gagner sa vie en anglais en France, il faut savoir toucher à tout que ce soit des dessins animés, de la publicité, des documentaires. Cela demande de la polyvalence, et avoir des comédiens polyvalents présente donc un fort intérêt pour l’association. Cela ne s’arrête pas qu’aux Anglophones, nous souhaitons recruter des comédiens d’autres langues de la voix enregistrée.
MP : Comme son nom l’indique, l’association met en valeur des Voix. Rappelons également que derrière ces voix se cachent avant tout des comédiens. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur le métier ? Sur l’imbrication entre la scène, le cinéma, le théâtre, et l’activité de doublage, ainsi que l’importance d’avoir une formation de comédien.
KL : Beaucoup de personnes se demandent « comment devenir artiste voix ? ». La réponse est très simple, il faut tout simplement être comédien. Il n’y a pas de séparation, la voix fait partie du corps. Et le travail du comédien, c’est de faire travailler son corps. On ne peut pas dire que l’ensemble des artistes voix viennent nécessairement du théâtre, cependant, ils ont quand même fait une formation à un moment de leur vie pour les aider à durer dans le métier. On peut être “ bon une fois ” mais être bon sur des années implique forcément d’avoir des outils et une technique de comédien. Si l’on prend l’exemple d’une séance d’enregistrement de pub, on nous demande souvent de faire 36 versions et nuances d’un même texte. Pour pouvoir réussir cela, il faut avoir un bagage de comédien, c’est indéniable.
La voix enregistrée peut être qu’une partie de notre activité de comédien, beaucoup d’adhérents de l’association sont actifs au théâtre, au cinéma, à la télévision, ou dans la musique. Même si pour certains, il s’agit de la partie la plus prépondérante.
MP : Pour terminer, comment s’adapte la profession à la crise sanitaire ? Est-ce que les comédiens ont pu retourner en studio ? Et quel est le rôle de l’association sur ce sujet ? K.L. :
KL : Pendant le confinement, nous avons oeuvré avec l’ensemble de la profession pour que le télétravail temporaire soit techniquement possible, tout en respectant cet écosystème entre les différents métiers qui composent notre activité. Par exemple, nous avons mis les studios, les ingénieurs du son, des producteurs et les agents en relation dans un groupe Facebook.
Depuis le déconfinement, les comédiens sont bien de retour en studio. Il n’y a aucun problème du moment que les studios respectent les guides reprenant les règles sanitaires recommandées. L’association a d’ailleurs contribuer à la réalisation d’un guide avec la SPSP et la AACC (Association des Agences-Conseil en Communication). En studio, d’après les retours, tout le monde respecte bien les protocoles et les gestes barrières.»
En bonus :
Il y a quelques années, l’association LesVoix.fr avait organisé une rencontre entre Jean Dujardin, Richard Darbois (voix d’Harrison Ford), le regretté Patrick Poivey (Bruce Willis), et Jacques Frantz (Robert De Niro). Un enregistrement très plaisant et instructif à écouter.