Zora, un conte cruel. Un conte, peut-être. Cruel, assurément. Le premier ouvrage du québécois Philippe Arseneault est de ces livres qu’on a du mal à cerner, de ceux qui ne laissent pas indemne. L’auteur nous emmène à la fin du 19ème siècle au cœur de la sombre forêt finlandaise des Fredouilles où semble avoir trouvé refuge la lie de l’humanité. C’est dans cette communauté peu fréquentable et sur le plancher crasseux de l’auberge de l’Ours qui pète que Zora, fille du sordide Seppo Petteri Lavanko, maître tripier, verra le jour. Honnie, rudoyée, humiliée, la fillette se frayera un chemin au travers d’une vie qui ne lui épargnera rien (ou presque). C’est à suivre ce parcours initiatique particulièrement éprouvant que nous convie l’auteur.
Avouons-le sans ambages, votre humble serviteur a été totalement conquis par la prose toute rabelaisienne de Philippe Arseneault. Ce dernier aime les mots, surtout les beaux et d’avantage encore ceux désuets et oubliés qui rehaussent et exaltent un texte. Commencer Zora, c’est entamer un voyage féerique nauséeux auquel on prend très rapidement un vif plaisir et qu’on ne voudra abandonner pour rien au monde. Nauséeux car, vous l’aurez compris, Zora n’est pas un livre à mettre entre toutes les mains. Adeptes absolus de Marc Lévy et autre Guillaume Musso, vous êtes dispensés de cette lecture, il y a fort à parier qu’elle vous déplaira. Aux autres, ceux qui ne redoutent pas d’avoir le cœur au bord des lèvres, courrez-y. Vous vous délecterez des horreurs qui prennent cours dans les ruelles de Grigol, à l’orée du Bois des Brumes, au pied du Mont Bolochel ou directement à l’auberge de l’Ours qui pète, repaire de soudards, alcooliques et autres violeurs. Vous frissonnerez de dégoût (mais aussi de plaisir) devant la galerie de personnages fouillés et truculents que nous livre l’esprit aussi pervers que créatif de Philippe Arseneault. Comment ne pas évoquer Seppo, l’aubergiste pansu et bas-du-cul, le Capitaine Boyau, abject vendeur de femme itinérant ou encore Tuomas, vieil alchimiste au charisme débordant. Vous aimerez en détester la plupart et vous vous enticherez des quelques autres. Quoi qu’il advienne, vous n’en ressortirez pas indifférent.
Avec ce premier roman (qu’il a mis neuf ans à clôturer), Philippe Arseneault a frappé fort et s’est vu récompenser du prix Robert-Cliche en 2013. Il se murmure désormais qu’il travaillerait sur un nouvel ouvrage. Nous l’attendons avec une certaine impatience.