Romain Rolland et Stefan Zweig ont eu une correspondance très importante entre la fin du XIXème et la première moitié du XXème siècle, que ce soit avec d’autres intellectuels de l’époque ou entre eux. L’ouvrage que nous propose Albin Michel retrace la première période d’échanges épistolaire entre les deux penseurs, la période 1910-1919.
Tout d’abord, il faut savoir que les deux intellectuels avaient une quinzaine d’années de différence en termes d’âge, mais que cela ne les a pas empêché de se retrouver dans des idées communes dans les concepts de construction européenne naissante. Ce tome de leurs échanges est particulièrement intéressant car couvrant la période de la première guerre mondiale, tournant idéologique dans la conceptualisation de la violence.
Au moment où notre civilisation révélait sa barbarie, il existait donc un grand mouvement intellectuel qui favorisait le pacifisme, avec bien sûr des divergences dans les détails de l’idée, y compris chez nos deux protagonistes.
Le début de la relation épistolaire entre Zweig et Rolland était assez cérémonieuse, mais les hommes commençant à se connaître et s’apprécier commencent à développer une autre relation, plus amicale, mais toujours (ou presque) centrée sur l’échange d’idées.
Arrive alors le tournant de cette période de leurs échanges, la première guerre mondiale qui va créer le premier obstacle à leur entente (NDLR : Car Rolland était français et Zweig autrichien), leurs échanges se font alors plus rares aux tout débuts de la guerre mais une reprise de contact à l’initiative de Rolland va changer la donne et la réponse hâtive de Zweig démontre son soulagement. Cependant, les deux hommes auront une approche très différente du conflit, si Zweig sera engagé dans les services de propagande de l’armée allemande, Rolland s’expatrie en Suisse pour pouvoir publier ses œuvres sans contrainte.
C’est ainsi que Rolland publiera le texte qui contribuera à lui faire obtenir le Prix Nobel de Littérature de 1915 : Au-dessus de la mêlée, apologie du pacifisme et appel à une paix que les deux amis ne voient pas régler les problèmes qui sont ceux de l’Europe. Cette vision prémonitoire se vérifie d’ailleurs à la signature du Traité de Versailles en 1919 qui impose de lourdes sanctions à l’Allemagne et est signé dans des conditions inégales pour les allemands, ce qui va raviver les tensions et mener à la monter nazie et la seconde guerre mondiale.
Nul doute que si ces deux esprits n’imaginaient pas encore une conséquence de ce genre, ils en pressentaient la possibilité à moyen terme.
Quoiqu’il en soit malgré la divergence de leurs points de vue pendant le conflit, ils s’accrochent à l’espoir que la jeunesse comme les anciens sauront tirer les leçons de la guerre, c’est d’ailleurs en ce sens que Rolland publie le manifeste Déclaration de l’Indépendance de l’Esprit qui fait adhérer une bonne partie des intellectuels de l’époque à la philosophie de pacifisme et qui souhaite tirer le leçons de ce conflit.
Ce mouvement aurait presque pu se rapprocher de la pensée de Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, qui souhaitait éviter d’accabler l’Allemagne pour ne pas susciter un esprit revanchard (c’était assez prophétique quand on y pense), mais cet avis ne fut pas retenu.
Nous verrons certainement dans le tome 2 une discordance entre les deux intellectuels face à la montée des extrémismes en Europe, l’un considérant cela comme une réponse de la jeunesse face à l’immobilisme des anciens, l’autre pressentant les événements qui conduiront à la seconde guerre mondiale. Dans tous les cas, un grand merci à Albin Michel pour nous avoir présenté cette publication.