Cette année encore, Marvel a eu une actualité chargée. Après le second opus des Avengers sorti en avril dernier, le célèbre studio a choisi de démarrer une nouvelle franchise, largement plébiscitée par les puristes : Ant-Man. Malgré un départ craintif dans le Box-Office américain, le film a su s’imposer par son humour, sa gestion des décors, et l’histoire de son personnage. Afin de promouvoir la sortie en Blu-Ray/DVD d’Ant-Man le 2 décembre prochain, nous avons eu le plaisir de recevoir Shepherd Frankel, le directeur des décors du film, qui a notamment travaillé pour P.S. I Love You, Agent Carter, Horrible Bosses et Bad Words. Nous tenons tout particulièrement à remercier Disney, Marvel, et Raphaël G. de Laboitecom pour cette opportunité.

B : Bonjour Shepherd, merci de nous répondre en direct de Los Angeles. Nous sommes ici pour promouvoir la sortie en Blu-Ray/DVD d’Ant-Man, film sur lequel vous avez travaillé en tant que directeur des décors. Quel est le principal défi lorsque l’on doit adapter un comic book en un film ?
S : Bonjour, merci à vous ! Il s’agit d’une question très intéressante. Marvel a une histoire extraordinaire et très diversifiée dont je suis fan depuis de nombreuses années, depuis mon enfance jusqu’à aujourd’hui. L’idée principale avec Marvel, que je tiens à bien mettre en avant, est qu’une franchise de ce type se réinvente avec chaque personnage, et que chaque comic book peut s’interpréter différemment selon les réalisateurs. La contrainte avec Ant-Man était le personnage, qui bien qu’étant moins connu du grand public, possédait un univers d’une richesse extraordinaire. Pour les Gardiens de la Galaxie nous avions décidé de tout miser sur l’univers intergalactique, il nous fallait donc donner envie aux spectateurs de voir quelque chose de nouveau dans Ant-Man. Et ces nouveaux espaces se sont matérialisés par l’utilisation du macro-environnement. Nous avons cherché à créer une réalité tactile et facilement concevable pour le spectateur. C’est pour cela qu’en regardant ce film, nous pouvons envisager le domaine miniature comme de nouveaux espaces, de nouvelles planètes à explorer.
B : Il y a quelque chose que j’ai trouvé réellement intéressant avec le film Ant-Man, c’est la façon dont les décors se réinventent lorsque le protagoniste passe de sa forme humaine à sa forme d’insecte. Cela m’a rappelé mon enfance, lorsque je passais mes journées à regarde Cherie, j’ai rétréci les gosses ! (Pour la petite histoire, Stan Lee souhait concevoir Ant-Man dès les années 1980, mais le studio New World Pictures décida que ce projet était trop proche d’un autre, porté par Disney… Chérie, j’ai rétréci les gosses !) Était-il difficile de concevoir des décors en se mettant dans la peau d’une fourmi ?
S : Il s’agit en effet de l’un des nombreux défis auxquels nous avons du faire face. L’approche du superviseur des effets spéciaux, Jake Morrisson, était très claire : si la macro-photographie ne marchait pas dans le film, ce dernier n’aurait pas de succès. On voulait que le spectateur rentre dans ce monde miniature et puisse en sortir à de multiples reprises sans qu’il ne ressente une quelconque distanciation. Pour cela nous avons du nous imposer deux règles : fournir des scènes réalistes et précises, et ne jamais construire des décors sur-dimensionnés. Nous avons donc décidé de créer une unité de macro-photographie, sous la direction de Rebecca Baehler et basée à Atlanta, qui aurait pour mission de prendre des milliers de photographies des endroits où Ant-Man aurait à aller. La baignoire que nous voyons dans le film, ou les tuyaux dans lesquels Paul Rudd évolue, sont donc des décors réels, à taille humaine, que nous avons filmé grâce à des jeux de focales et des mouvements de caméras. Le problème auquel nous avons du faire face, était que chaque détail du décor serait amplifié par l’effet de zoom. Il a donc fallu faire un réel effort sur les décors et sur la précisions des informations à l’écran. La seconde étape a été de combiner toutes ces photographies afin de faire un décor panoramique, hyperréaliste et donnant une sensation de relief. Vu que nous ne pouvions pas réduire Paul Rudd, il a fallu recourir à l’utilisation du motion capture, afin d’incruster la performance de l’acteur dans nos plans macro-photographiques.
B : Quelle est votre opinion sur l’utilisation des écrans verts ? Avez-vous eu à adapter votre manière de concevoir les décors afin d’intégrer ces nouveaux éléments ?
S : Je pense que s’ils sont utilisés intelligemment, les effets visuels sont des outils extraordinaires, notamment pour les matte paintings (ndlr. filmer un décor, et y ajouter des éléments peints) ou pour les effets spéciaux. Dès le début de mon travail, je conçois les décors en y ajoutant les écrans verts, en tant qu’outil pour faire mon métier. Cela n’a pas de sens économiquement mais aussi humainement, de créer chaque objet d’une scène, lorsque nous pouvons combiner les VFX (ndlr. abréviation anglaise pour effets visuels) et les éléments que nous pouvons construire. Mais il est aussi souvent impossible de filmer à certains endroits que nous avons repérés. Par exemple, pour certaines vues de l’extérieur de l’industrie Pym, il était impossible de filmer avec des figurants car le bâtiment est entouré par de l’eau. L’intérêt avec les paysages générés avec l’aide de l’informatique est qu’ils permettent de collecter plus de ressources, et donc d’ajouter des informations aux décors. Nous utilisons ces écrans de fumée afin de duper les spectateurs, pour qu’ils ne sachent plus faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ajouté informatiquement.
B : Combien de temps consacrez-vous à la création d’un décor, pour une seule scène ?
S : La philosophie des industries cinématographiques a fortement évoluée ces dernières années. Tout dépend aujourd’hui de la disponibilité des acteurs et des équipes de tournage. Il faut donc faire en sorte de concevoir les choses intelligemment, afin de ne pas perdre de temps et d’énergie. Il faut savoir qu’un seul décor représente en général une dizaine de pages d’indications, de dessins et de repérages, et que la majorité du travail se fait en amont du tournage
B : Merci beaucoup de nous avoir accordé votre temps, Shepherd, on espère vous voir bientôt en France !
S : Merci à vous, c’était un plaisir, à bientôt !