1922. Les canons de la Grande Guerre se sont tus il y a de cela quatre années et le monde se reconstruit, renaissant à la vitesse de la nouvelle énergie hydroélectrique, un héritage du grand Nikola Tesla. Une guerre laissant la place à une autre, c’est dans les vallées des Alpes que quatre grandes puissances mondiales s’affrontent pour bâtir le plus grand empire hydroélectrique que le monde ait jamais connu. Et c’est ainsi que commence la révolution de la plus précieuse ressource qui soit : l’eau.
Hop hop hop pas plus que le bord !
Si nous avons à cœur de vous proposer des reviews des dernières belles sorties ludiques, il serait bien dommage de passer à côté des mastodontes de ces dernières années. C’est le cas de Barrage, un ingénieux jeu de placement d’ingénieur et de gestion autour de constructions hydroélectriques. De prime abord, le thème interpelle, voire pourrait rebuter certains. En effet, l’hydroélectrique n’est pas le thème qui fait le plus rêver pour un jeu de société si on le compare aux grands classiques que sont le fantastique, le médiéval, ou encore la science-fiction. Et pourtant, Barrage fait partie des rares jeux qui vont jusqu’au bout de leur thème, où l’univers est en parfaite cohésion avec ses mécanismes. Bien loin d’un thème plaqué à la va-vite donc ! Le long texte qui introduit les règles du jeu en est la parfaite illustration, il permet de se plonger dans le riche univers de Barrage et de la conquête de l’énergie hydroélectrique.
Prenons la direction des Alpes, et plus précisément les années 1920 (quelques peu dystopiques). Il est question pour les joueurs d’incarner des PDG d’une des quatre sociétés nationales que sont la France, l’Allemagne, l’Italie et les USA. Chacun aura un objectif : asseoir sa suprématie sur le marché de la production hydroélectrique. Pour se faire, il faudra construire des structures pour créer un barrage, une turbine et une centrale hydroélectrique pour produire de l’énergie grâce à l’eau stockée. Durant cinq manches, les joueurs devront planifier au mieux leurs actions et placements, remplir des contrats grâce à leur production d’énergie, et anticiper les coups des adversaires car dans Barrage chaque place est précieuse, chaque goutte d’eau perdue est synonyme de points de victoires qui partent dans la nature ou au concurrent. Bref, la moindre erreur se paye cher.

Il est bien difficile d’expliquer les règles d’un jeu aussi complexe et riche. Allons donc à l’essentiel pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Barrage est avant tout un jeu de placement d’ouvriers pour réaliser des actions, que ce soit sur un plateau personnel ou sur le plateau commun. Evidemment, les places à prendre sont limitées et chaque action sera plus ou moins efficace/couteuse suivant l’ordre de placement des joueurs. Il est tout d’abord possible (et fortement recommandé) de construire des structures (barrage, élévation, turbine, centrale hydroélectrique) en échange de ressources. Avec une belle originalité puisque les ressources utilisées pour créer une structure ne sont jamais défaussées mais placées sur une roue de construction. Ainsi, le joueur doit placer une tuile de la structure à bâtir et les ressources nécessaires (bétonnières/méchas) sur l’une des sections de la roue de construction avant de la tourner d’un cran. Et qu’est-ce que cela va apporter me direz-vous ? Tout simplement une toute nouvelle manière de penser et d’anticiper les actions à venir. Car la tuile bâtiment et ses ressources ne seront disponibles à nouveau que lorsque la roue aura fait un tour complet. Pendant ce temps, il n’est donc plus possible ni de construire cette structure, ni d’utiliser les ressources. Faire le tour du cadran n’est pas une mince affaire, entre calcul et anticipation, cette roue est un concept aussi innovant que frustrant !
Pour autant, le cœur du jeu se déroule sur le plateau central qui représente un paysage des Alpes avec des cours d’eau, différents bassins, allant de la montagne, en passant par la vallée jusqu’à la plaine. Et c’est sur ces bassins que les joueurs devront construire des barrages et leurs élévations pour contenir des gouttes d’eau qui vont s’écouler tout au long des manches. Un barrage seul ne pourra contenir qu’une goutte d’eau, puis deux avec une élévation, et ainsi de suite. Car il faut bien garder à l’esprit qu’un barrage n’ayant pas une hauteur suffisante risquerait de déborder. Enfin, il faudra bâtir des turbines pour les relier à des centrales hydroélectriques. Selon que la construction se trouve en montagne, en vallée ou en plaine, le coût de construction ne sera pas le même. Il en est de même pour les conduites d’eau suivant leur capacité à produire plus ou moins d’énergie. Chaque structure construite libèrera des revenus pour chaque tour (argent, ressources, points de victoire ou rotation de roue).
Vient ensuite le temps de produire. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un système complet et connecté (barrage, turbine et centrale), des gouttes d’eau retenues, et de placer ses ingénieurs sur une action production. Suivant le niveau de production de la conduite, du nombre de gouttes d’eau et des différents bonus (plateau joueur + case action), l’énergie produite variera. De par cette capacité de production, les joueurs pourront remplir des contrats pour bénéficier de bonus supplémentaires (Points de victoire, ressources, construction, etc.). Aussi, l’eau qui passe dans une centrale se retrouve ensuite en aval et pourrait bien terminer sa course dans un de vos barrages… ou dans celui de l’adversaire pour être réutilisée ensuite. Enfin, chaque production permet d’avancer sur la piste d’énergie pour marquer des points à chaque fin de manche et remplir des objectifs. Vous l’aurez compris, et cela rentre bien dans le thème, chaque action de production devra être pensée comme un ruissellement à tous les niveaux.
Au-delà de ces actions de construction et de production, les joueurs pourront également placer leurs ingénieurs pour faire tourner la roue, faire s’écouler des gouttes d’eau, retirer de l’argent à la banque, acquérir de nouveaux contrats, acheter de nouvelles ressources, ou encore mettre la main sur de nouvelles tuiles constructions plus performantes. A la fin de la cinquième manche, les comptes sont faits, le joueur ayant marqué le plus de points est déclaré grand vainqueur de la course à l’hydroélectrique.

Faire barrage à l’adversaire
Réussir à l’écrit à expliquer le concept d’un jeu aussi riche, complexe, stratégique, est un exercice bien difficile. Pour résumer, dans Barrage il s’agira de construire au bon endroit, au bon moment, de se battre pour chaque action, de rediriger l’eau à son avantage pour produire plus et mieux en ne laissant que d’infimes gouttes d’eau à l’adversaire. Une lutte âpre, un combat de tous les instants où chaque décision peut être décisive, où il faudra toujours garder un œil sur les adversaires. Un jeu solide, exigeant, tendu, profond, presque punitif, et dont il faudra quelques parties pour réussir à le prendre en main. De quoi mettre vos neurones (et vos nerfs) à rude épreuve !
Etonnamment, pour un jeu de cette ampleur, la compréhension des règles est rapide et intuitive grâce à une cohérence entre toutes les actions et étapes. Tout est particulièrement fluide, logique, et offre une courbe de progression grandissante au fil des parties. Côté matériel, c’est un sans faute tant il est aussi qualitatif que quantitatif (attention toutefois, il faut une table assez grande). Le thème est poussé jusqu’au bout, jamais gratuit, toujours logique, il donne vie à un univers rarement vu dans le domaine ludique. L’immersion est totale et donne envie d’y revenir.
Nous avons été conquis par Barrage qui est devenu l’un de nos gros coups de cœur de ces dernières années. Un monument du genre, un vrai jeu expert dans sa plus belle définition qui s’adresse à un public plutôt bien rodé. Il faut l’essayer, l’apprivoiser, pour réussir enfin à l’adopter. Et alors là, vous avez une sacré belle pépite entre les mains !
Barrage, un jeu de Tommaso Battista et Simone Luciani, illustré par Antonie De Luca et édité en français par Intrafin.
Nombre de joueurs : 1 à 4
Âge : à partir de 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 60 à 120 minutes
Pour le moment, le jeu est en rupture de stock mais pouvez le précommander chez nos partenaires :