![Gaming-Sociologie-du-jeu-video [LIVRE] Gaming : Sociologie du jeu vidéo](https://i0.wp.com/www.conso-mag.com/wp-content/uploads/2024/03/Gaming-Sociologie-du-jeu-video.jpg?resize=400%2C747&ssl=1)
« Gaming : Sociologie du jeu vidéo » est un essai publié aux éditions l’aube rédigée par deux personnes travaillant pour l’Ifop, Jean-Philippe Dubrulle et Enora Lanoë-Danel.
Ce livre s’appuie notamment sur une étude de l’Ifop pour Gamertop :
Le livre a toutefois une visée plus englobante et ne se limite pas au sexisme.
Cet essai semble aussi en partie dirigé contre les déclarations d’Emanuel Macron du 30 juin 2023 : « On a le sentiment parfois que certains d’entre eux vivent dans la rue les jeux vidéo qui les ont intoxiqués ». Une remarque aux relents un peu archaïques qui avait provoqué une levée de boucliers au sein de la communauté des joueurs. Rappelons que de très nombreuses études commanditées depuis l’apparition de Doom et Mortal Kombat n’ont jamais pu établir de lien entre la pratique du jeu vidéo et un accroissement des comportements violents des joueurs. L’absence de preuve n’est certes pas la preuve d’absence, mais on peut dire qu’on a bien cherché sans jamais rien trouver.
Les auteurs commencent par classifier les joueurs parce que… j’imagine que c’est au moins en partie le travail d’un sociologue. Nous avons donc droit à un découpage, parfois assez argumenté, parfois qui semble plus arbitraire.
L’étude constate que le jeu vidéo est une pratique relativement généralisée dans la population, du moins jusqu’à 50 ans, même si tous les joueurs ne sont pas réguliers dans leur pratique, loin s’en faut.
Les auteurs s’essaient au passage à un exercice plus que périlleux : définir le fameux hardcore gamer (le joueur passionné). Et le portrait retenu m’a paru assez peu pertinent. Les auteurs admettent bien volontiers que la distinction n’est pas étanche. Ils considèrent donc qu’au-delà du temps de jeu, c’est le support de jeu qui importe alors qu’une console de jeu est un dispositif coûteux dont le seul objectif est le jeu. Ceci afin d’exclure le jeu sur Smartphone, dispositif multi-usage qui permet aussi de jouer, mais qui ne démontre pas un engagement financier particulier pour le jeu. Le problème c’est que le PC est considéré comme un dispositif de hardcore gamer en raison de son coût élevé. Ce coût n’est pas forcément plus élevé qu’un smartphone pourtant. Surtout que n’importe quel laptop de supermarché à 300€ fait tourner Fortnite et Genshin Impact, des jeux en Free to Play pas plus chers que sur un smartphone dont le coût peu à l’inverse dépasser le millier d’euros. Et bien évidement un PC ne sert pas non plus uniquement à jouer. La distinction laisse donc perplexe.
Mais la définition contient au surplus des critères cumulatifs : un hardcore gamer doit jouer à un genre de jeu considéré comme légitime. Par qui ? On nous parle de prescripteurs, c’est-à-dire de personnes effectuant des recommandations d’achat dans le domaine concerné si ma compréhension est exacte. S’agissant d’un sujet aussi récurrent que futile dans les discussions de joueurs, je pressens qu’il y a à peu près autant de définitions du hardcore gamer que de « prescripteurs ». J’imagine donc les auteurs se dépatouiller péniblement avec des tonnes d’informations contradictoires. Les auteurs en ont conclu l’idée, assez séduisante il faut l’avouer, que le hardcore gamer se définit par négation : c’est celui qui joue à des genres de jeux auxquels le casual gamer (joueur dilettante) ne joue pas. Vous devez donc jouer à un jeu de tir, d’action aventure, à un RPG ou un jeu de stratégie qui semble les genres les plus souvent retenus comme étant légitime par les prescripteurs pour être considéré comme un joueur passionné.
Le problème se situe malheureusement déjà à l’entame du raisonnement : les catégories ne signifient elles-mêmes pas grand-chose. Les jeux de réflexion sont ainsi bannis parce que cela inclut Candy Crush, pas assez hardcore gamer pour les prescripteurs. Mais cela évacue aussi les joueurs de baba is you, pourtant un jeu ni facile, ni accueillant qui fait aussi partie de cette catégorie. Si vous jouez une fois tous les 3 mois à Call of Duty, vous êtes hardcore gamer, même si pour certains c’est le jeu de casual gamer par excellence. Félicitations. Ou pas. Par contre, votre setup de Sim Racing à trois écrans ou votre Hotas avec palonnier fait main pour faire votre aller-retour hebdomadaire Paris-New York dans Flight Simulator feront de vous des casual gamers si vous ne faites que ça de votre vie de joueur. Désolé. Ou pas. Mais comme les Sims font partie de l’immense catégorie fourre-tout des simulations, et que les Sims c’est « casu », la catégorie est exclue. Si vous jouez à Arma 3 on vous laissera peut-être choisir votre camp : simulation (casual gamer donc) ou jeu de tir (hardcore gamer) ? Encore un mystère bien mystérieux de la magie des catégorisations artificielles.
Les auteurs s’essaient ensuite à un autre exercice périlleux : établir un lien entre le niveau socioprofessionnel, les opinions politiques et le jeu vidéo. Mais le niveau socioprofessionnel étant plutôt bien corrélé avec l’âge, cela rend les conclusions hasardeuses.
Les auteurs s’attaquent enfin assez longuement au sujet du sexisme dans le jeu vidéo. Les conclusions me semblent moins tranchées que dans l’étude en ligne en concluant plutôt que les joueurs ne sont ni plus ni moins sexistes que la population générale. Quand on affirme que tout le monde est plus ou moins joueur, c’est un peu une lapalissade.
Certains chiffres sont toutefois édifiants quant aux agissements toxiques. Et si tout le monde en prend pour son grade, les femmes sont plus particulièrement touchées par les insultes sexistes.
Difficile toutefois d’être surpris par ce constat. Les personnages toxiques, pas forcément touchés par la grâce de la maturité, ont une litanie d’insultes prémâchées grâce aux vieux clichés sexistes. Un seul individu toxique pouvant casser les pieds de très nombreuses personnes, ce n’est pas non plus surprenant de retrouver des taux élevés de plaintes, surtout dans une activité poussant souvent à l’affrontement entre joueurs, dans une communauté fortement interconnectée.
On note toutefois statistiquement moins de réponses douteuses parmi les gens qui ne jouent pas du tout que chez ceux qui jouent un peu ou beaucoup. Plus chez ceux qui jouent un peu que ceux qui jouent beaucoup d’ailleurs, ce qui mériterait d’être creusé. Nous n’avons, par exemple, pas de répartition des réponses par âge. Les « vieux », moins joueurs que les « jeunes », seraient-ils aussi moins sexistes?
Je note au passage des termes parfois très forts pour un béotien de la sociologie comme moi, notamment des gens promptement étiquetés comme étant des adeptes de la « culture du viol ». En tant que juriste, j’ai été un peu surpris par le flou artistique de certaines notions et formulations, pourtant porteuses de graves accusations. Même si fort heureusement, il ne s’agit pas ici d’envoyer des gens derrière les barreaux, je ne peux m’empêcher de me montrer circonspect sur certains raccourcis.
L’essai donne au surplus par moment l’impression d’être un cliché qui critique un autre cliché, surtout sur ces questions de sexisme, peut-être en raison de sources de qualité diverses et d’une certaine orientation à tendance simplificatrice, méconnaissant certains éléments qui auraient pourtant mérité considération pour enrichir l’analyse.
Heureusement, cela ne préjudicie en rien les données objectives sur lesquelles se raccrocher et globalement les points critiquables sont relativement mineurs et ne me semblent pas invalider les conclusions des auteurs dans les grandes lignes.
L’étude démontre encore des différences statistiquement significatives dans les habitudes de jeux entre les joueurs et les joueuses, qui se révèlent intéressantes à étudier.
Si certains points m’ont un peu chiffonné, j’ai trouvé cette lecture enrichissante. Elle m’a indubitablement incité à la réflexion et à consulter certaines sources qui m’étaient inconnues, me sortant ainsi de ma zone de confort. Le travail m’a paru assez rigoureux et documenté sur bien des aspects, et si je note que l’exercice à ses limites (et des sociologues m’expliqueront probablement que j’ai mal interprété une chose ou l’autre), il y a des choses intéressantes à retenir et que je vous laisse découvrir.
Vous pourrez trouver l’ouvrage dès le 5 avril 2024, au prix de 18€. Il est très accessible même pour les parfaits ignares dans le domaine, comme votre serviteur, sans jargon superflu, et le format rend la lecture fluide et agréable.