Sortez les scones, les corgis et les Earl Grey, l’équipe de Super Meeple nous a affrété une calèche pour nous rendre dans le Derbyshire, en pleine Angleterre victorienne… Il paraît qu’il s’y trouve quelques blasons de grandes familles à redorer…
Derbyshire, milieu du 19ème siècle. L’épais voile de fumée qui provient de votre cigare ne parvient pas à masquer votre regard anxieux. Dans quelques heures, vos prestigieux invités se présenteront devant les grilles de votre domaine pour ce que vous leur avez promis être un sémillant tournoi de cricket. Parmi eux se trouveront Sir Allistair, Marquis de Kent ainsi que l’honorable Albert Plantagenêt et son épouse Lady Caroline, Vicomtesse d’Abernathy. D’un geste nerveux, vous faites sonner la clochette pour sommer à votre majordome de vous rejoindre dans votre bureau privé. Vous souhaitez vous assurer que les domestiques ont fait tout ce qui était nécessaire pour que votre manoir reflète le prestige de votre nom mais aussi discuter avec lui des derniers détails de la fête du village qui se tiendra dans quelques jours et à laquelle vous avez décidé de participer.
Les chaussettes de l’archiduchesse… Qu’en sais-je ? Demandez donc à la femme de chambre !
Dans Obsession, les joueurs vont incarner les représentants d’une grande famille du Derbyshire. Après des moments difficiles, celles-ci ont trouvé de nouvelles sources de revenus et ont choisi de redorer leur blason familial et de reconquérir la place qui était jadis la leur dans les hautes sphères de la société britannique.
Le jeu se déroule en une succession de tours lors desquels les joueurs vont organiser des activités en activant une pièce ou un élément de leur manoir. L’activité en question leur permettra d’inviter certains membres éminents de l’aristocratie et bien sûr d’en tirer des bénéfices (argent, réputation, nouveaux invités, etc. ). Mais pour que ces activités puissent se tenir, encore faut-il disposer d’une réputation à la hauteur de l’événement et de suffisamment de personnel de maison pour satisfaire les (exigeants) invités.
Un exemple valant mieux que de longues (et rébarbatives) explications, disons que vous, Lady Ponsonby, avez décidé d’organiser un récital de famille dans la salle de musique que vous avez faite bâtir quelques tours plus tôt. Cela vous demande d’y convier trois invités et d’y consacrer le travail de votre majordome. Vous jouez donc Lord Brooks, Miss Penelope Hill et Lady Elizabeth Hastings depuis votre main. Les deux Ladies demandent chacune une femme de chambre tandis que le Lord requiert lui un valet. Tout va bien, l’entièreté de votre personnel de maison est disponible et vous pouvez donc répondre à ces demandes. Le récital est un succès et vous en retirez donc des bénéfices (financiers bien sûr mais aussi en nouveaux invités puisque conquis par l’accueil que vous leur avez réservé, vos hôtes vont vanter vos mérites auprès d’autres familles influentes). Mais ce n’est pas tout, la réputation de votre famille s’en trouve grandie, ce qui vous permettra d’organiser plus tard des activités encore plus prestigieuses (pourquoi pas un grand bal ?) tout en y invitant des Lords et des Ladies encore plus renommés. Enfin, pour terminer votre tour, vous décidez d’agrandir le quartier des domestiques de votre manoir. Votre personnel de maison n’en sera que plus disponible…
Dis-moi qui fréquente ta maison et je te dirai qui tu es (ou plutôt ce que ta famille vaut)
Une partie d’Obsession va donc se dérouler en une succession de tours comme celui que nous venons juste de décrire mais elle sera aussi émaillée de différents événements. Parmi ceux-ci, la fête du village vous rapportera de l’argent mais aussi de la réputation tandis que la fête nationale vous permettra de faire fi de certaines convenances sociales. Et bien sûr, il y aura les événements de Cour. Lors de ceux-ci, personne n’organise d’activités ni ne convie d’invités mais chacun fait valoir les avantages de son domaine à l’un des deux héritiers Fairchild, les deux jeunes gens les plus convoités d’Angleterre. Si leurs centres d’intérêt sont en adéquation avec vos réalisations, il se pourrait en effet que l’un d’eux vous fasse l’honneur d’une visite !
Ne le cachons pas, nous étions très curieux au sujet de cet Obsession. Si l’univers de l’Angleterre victorienne avait en effet réussi à se rendre séduisant tant dans la littérature (coucou Miss Jane Austen) que sur petit et grand écran (aaahhh, le manoir de Downton Abbey), il devait encore faire ses preuves dans le monde exigeant des jeux de société. Eh bien, c’est une vraie réussite ! Le jeu est très fluide et très prenant mais aussi (et peut-être surtout) il s’ancre parfaitement dans son thème. Ici, tout est question de prestige, de réputation et de (presque) bonne société. Quelques exemples : la jeune femme de votre foyer vous rapportera plus de réputation si elle participe à une activité en compagnie de son admirateur ; vous pourrez débaucher quelques domestiques chez vos adversaires ou encore en affecter certains à colporter de fausses rumeurs sur les autres familles du Derbyshire (et ainsi entâcher leur réputation). Vous en voulez encore ? Alors, révélons que quelques invités sont réputés infréquentables (certains sont des goujats, d’autres mènent une vie de débauche et d’autres encore sont pires, ils sont américains !). Organiser des activités en leur compagnie pourra certes s’avérer rentable mais pourrait aussi nuire à la réputation de votre maison…
Orgueil et Préjugés à Downton Abbey
Ce souci du réalisme et de rester ancré dans son thème transpire littéralement du jeu et c’est en tout point une excellente chose. Enfin, en tout point sauf un (et c’est d’ailleurs le seul petit bémol que nous avons pu relever) : les règles. Elles ne sont pas mal écrites, c’est même justement tout le contraire. Pour coller au thème du jeu, elles sont émaillées de significations sur le lien entre la mécanique expliquée et la façon dont elle respecte le thème. L’intention est très louable mais à la première lecture, le joueur aura l’impression de ne pas saisir toutes les subtilités d’un jeu qui pourtant se joue et s’explique très facilement. C’est seulement plus tard, lors d’un éventuel aller-retour au livret de règles, que le soin avec lequel celles-ci ont été rédigées s’apprécie.
Cela dit, c’est vraiment un tout petit bémol et il est d’ailleurs contrebalancé par la présence d’un très riche glossaire qui ne laisse place à aucune interprétation. Le petit plus : ce glossaire propose aussi différentes variantes qui modifient légèrement le jeu dans un sens ou dans un autre. D’aucuns diront (ou feront colporter ces vilaines rumeurs par leurs domestiques) que l’auteur du jeu n’a pas su faire un choix mais nous y voyons plutôt un moyen d’offrir aux joueurs un jeu qui, sans y perdre son âme, est capable de s’adapter à leurs envies.
Allez, on vicomte les points
Pour nous, Obsession fait un home run (ou son équivalent en croquet, n’allons pas faire semblant que nous y connaissons quoi que ce soit). Le jeu se révèle agréable, subtil, disputé et surtout il nous plonge littéralement dans l’Angleterre victorienne que nous espérions y trouver. Ce dernier point est encore renforcé par le très beau matériel qui rehausse le jeu. Du plateau aux illustrations en passant surtout par les cartes invités (toujours agrémentées d’un texte d’ambiance présentant la personne et sa photo), tout vous donnera l’impression de faire (enfin) partie de la famille Crawley.
Obsession, un jeu de Dan Hallagan édité en français par Super Meeple (et distribué en Belgique par Geronimo Games).
Nombre de joueurs : 1 à 4
Âge : dès 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 1h30 à 2h