Il y a un peu moins d’un an, l’éditeur Studio H bousculait la fin d’année ludique avec un étonnant jeu coopératif et narratif : Oltrée. Signé par les talentueux Antoine Bauza et John Grümph (sans oublier Vincent Dutrait pour l’identité visuelle), Oltrée n’allait pas tarder à faire parler de lui dans la communauté des joueurs et a même obtenu une très méritée nomination à l’As d’Or 2022 dans la catégorie Initié. Aujourd’hui, si on vous en parle, c’est déjà parce qu’il est un jeu qui mérité d’être mis en avant mais aussi parce que sa première extension, « Morts & Vivants », est désormais disponible sur les étals…
En vainquant le Roi-Sorcier, l’Empire a préservé son existence mais perdu son unité. Aux heures sombres de la guerre a succédé une période emplie de chagrin et de querelles lors de laquelle le territoire s’est progressivement morcelé. Aujourd’hui, c’est sur les ruines de la gloire passée que vous ruminez. Et pourtant, en votre qualité de patrouilleur, vous ne pouvez faillir à votre mission : protéger les citoyens, établir des liens entre les communautés, combattre les dangers tapis dans l’ombre et pourquoi pas, redorer enfin le blason de l’ancien Empire…
Servir et protéger, telle est la devise des patrouilleurs (ou elle aurait pu l’être)
Dans Oltrée, les joueurs vont donc incarner de courageux patrouilleurs envoyés dans une province éloignée pour y restaurer autant un fortin que la confiance perdue par les habitants du coin. Lors de chaque partie, ils choisiront avant tout une chronique (qui constituera le cœur de leur aventure) mais ils sélectionneront aussi une mission qui, par le biais de cartes « Péripétie », viendra peupler leur province de toutes sortes d’événements.
La partie va se dérouler sur un plateau central représentant le fortin et les huit régions qui l’entourent. A chaque tour, le marqueur Adversité sera susceptible d’avancer d’une ou deux cases sur une petite piste qui en compte quatre. Selon l’endroit où il atterrira, les joueurs devront ajouter un problème dans une des huit régions, y ajouter une péripétie, faire face à un événement ou lire une page de leur chronique.
Ensuite, le patrouilleur dont c’est le tour pourra effectuer deux actions (se déplacer, demander de l’aide à une communauté, tenter de résoudre un problème, améliorer le fortin, vivre une péripétie, etc.). Oui, deux actions. C’est peu. Surtout si on prend en compte la grande capacité des gens du cru à s’attirer des problèmes ou le nombre de folles péripéties que nous réserve ce coin que l’on pensait pourtant paisible (ou au moins plus paisible).
Du fil (et des cous) à retordre
En effet, Oltrée est un jeu où l’on va vivre des tonnes d’aventures. Il ne se passe d’ailleurs pas un tour sans que quelque chose d’inattendu ne survienne. C’est à la fois ce qui fait toute la beauté du jeu mais c’est aussi ce qui lui confère un délicieux niveau de difficulté. Dans cette province, pas de repos pour les braves (pas plus que pour les tire-au-flanc d’ailleurs).
Pour espérer remporter la partie, les joueurs devront réussir une sorte de test final qui leur sera révélé par la ou les dernières pages de leur chronique (et qui sera facilité s’ils ont rempli tout ou partie de leur mission). Très logiquement, on pense donc qu’il faut se concentrer sur la mission et rendre nos personnages plus forts (c’est-à-dire capable de lancer des demi-brouettes de dés à chaque test). Oui mais…
Oui mais ça, c’était sans compter sur les conditions de défaite, à savoir une réputation mise à mal ou une défense du fortin trop poreuse… Pour maintenir celles-ci à un niveau décent, il faudra donc répondre aux attentes des habitants et s’assurer que les régions ne deviennent pas dangereuses à force d’accumuler les péripéties non-vécues. Le tout, nous l’avons dit, avec seulement deux actions par tour et par joueur. Faites-en déjà votre deuil, vous ne pourrez pas tout faire…
So far so good… So far so good…
Voilà une expression qui résume assez bien le jeu. Au début, tout semble bien se passer. On contrôle, on contrôle et puis, en l’espace d’un instant, on ne contrôle plus rien. En quelques tours, l’ambiance bascule et on se retrouve à courir comme des poules sans tête d’un bout à l’autre de la province pour tenter d’éteindre des incendies (parfois au sens propre). Et le pire, c’est qu’on adore ça, ce moment particulier où l’on se sait pendu à un fil, ou tout notre destin repose sur ce que va révéler une carte ou sur un lancer de dés sur lequel on aurait finalement dû plus investir…
Alors certes, la fin de jeu peut s’avérer parfois brutale (surtout si elle se solde par une défaite) mais comme nous l’avons souvent répété sur ces pages, un jeu coopératif trop facile n’a que peu (voire pas) d’intérêt. Dans Oltrée, les victoires seront souvent acquises de haute lutte et très honnêtement, cet aspect nous a beaucoup plu !
Faites entrer les morts-vivants. Pardon, les morts et les vivants.
Nous en parlions en préambule, Oltrée s’est récemment enrichi d’une extension. Au travers de trois nouvelles chroniques, celle-ci fait la part belle aux goules, aux nécromanciens, aux guerriers squelettes et aux autres créatures de la nuit.
De plus, elle propose six nouvelles missions (jouables donc aussi avec les chroniques du jeu de base). Au travers de celles-ci, il vous faudra rebâtir une nécropole, démanteler une bande de pilleurs de tombes ou encore éviter que quelques morts-vivants isolés ne se constituent en horde.
Mais ce n’est pas tout, l’extension Morts & Vivants fait également intervenir des cartes langueur. A force d’errer dans un environnement aussi morbide que putride, les fiers patrouilleurs sentiront en effet un mal nouveau les ronger. Les voilà qui pourraient soudain souffrir d’asthénie, d’engourdissement voire de couardise (un comble pour un patrouilleur).
En conclusion
Oltrée a énormément d’atouts. Déjà, pour un jeu de cette envergure, il demeure très accessible et il ne faudra pas de longues dizaines de minutes pour en expliquer les règles et le contenu. Pour autant, vous l’avez compris, il n’est pas non plus un jeu qui s’offrira à vous facilement. Les chroniques vous donneront du fil à retordre mais faites-nous confiance, vous adorerez ça.
Ensuite, son matériel est aussi somptueux qu’extrêmement qualitatif. Il est très agréable à manipuler et oui, même à ranger (!). Son aspect narratif est bien dosé. Il faut comprendre par là que l’aspect narratif est réel mais que le jeu ne nécessitera pas pour autant de longues séances de monologue. Il est plutôt constellé de petits textes courts, incisifs et toujours parfaitement rédigés. La même gommette bonus va aux illustrations qui sont superbes et qui aident à rentrer dans l’ambiance d’un jeu qui, pourtant, ne manquait déjà pas d’être immersif.
Enfin, et même si c’est souvent là que le bât blesse dans les jeux narratifs, Oltrée ne manque pas de rejouabilité. Bien sûr, une fois les chroniques connues, vous n’aurez plus le frisson de la découverte et le jeu perdra un peu en intérêt. Cela dit, vous pourrez toujours varier les plaisirs en associant d’autres missions à vos chroniques et puis, comme nous avons pu le voir avec Morts & Vivants, il est aussi un jeu facilement extensible. Gageons qu’avec un matériel de base de cette qualité, d’autres extensions ne manqueront pas de fleurir d’ici peu…
Oltrée, un jeu d’Antoine Bauza et John Grümph, illustré par Vincent Dutrait, édité par Studio H et distribué par Gigamic.
Nombre de joueurs : 2 à 4
Âge : dès 10 ans
Durée moyenne d’une partie : 60 à 90 minutes