La terre commence à trembler, le ciel devient noir au-dessus du cratère assombrissant les eaux claires de la lagune : une odeur persistante de soufre vous prend à la gorge. Il est temps de prendre vos jambes à votre cou et de mener votre tribu dans des eaux plus clémentes du pacifique à la recherche d’un nouveau domicile, loin de la menace du volcan.
Pour cela, vous aurez à explorer de nouvelles routes maritimes vers des îles encore inexplorées, collecter des ressources et les offrir aux autres tribus afin qu’elles partagent leurs connaissances et naviguer vers un nouveau foyer. Mais il n’y aura pas de la place pour tout le monde sur les navires, toutes les routes maritimes ne seront pas accessibles, les choix n’en deviendront alors que plus cruciaux ! Ne vous y trompez pas, le paysage de Polynesia est aussi magnifique que dangereux !
Boum ! Quand votre cœur le volcan fait boum !
Polynesia fait partie de ces jeux dont la couverture fait déjà voyager et donne envie sans même savoir de quoi il en retourne. A l’ouverture de la boîte, l’effet est le même ; des couleurs chatoyantes, de belles illustrations, du matériel en quantité et un plateau avec de superbes îles au sable fin qui, déjà, invitent au dépaysement et à l’envie de prendre la mer. Mais attention, il ne sera pas question de prendre un bain de soleil tranquillement sur la plage car déjà le volcan gronde !
Polynesia est un jeu à forte interaction dans lequel les joueurs poursuivront un même objectif : faire fuir les membres de leur tribu le plus loin possible avant l’éruption du volcan. Pas de coopératif ici pourtant, mais bien du compétitif pour un jeu mêlant opportunisme, blocage des autres joueurs et stratégies cruciales. Le jeu tourne autour d’une mécanique simple et épurée (mais qui ne manque pas de profondeur) : un marqueur placé sur le plateau indique le numéro de phase de jeu dans laquelle se trouve les participants (3, 2 ou 1) et qui régit les possibilités d’actions. Nous allons y revenir mais, avant cela, voyons de plus près les actions.
Le plateau est composé d’une île principale sur laquelle se trouve une plage et le fameux volcan, et de plusieurs dizaines de petites îles dont des traits en pointillés entre-elles indiquent les routes maritimes qui permet de les relier. Les joueurs vont alors devoir déplacer les membres de leur tribu placés sur l’île principale (et sur leurs plateaux personnels) vers les îles plus éloignées du volcan. Pour se faire, quatre actions sont disponibles : explorer, se déplacer, pêcher ou peupler. En explorant, les joueurs peuvent poser un bateau de leur couleur sur une route maritime encore inexplorée en posant une ressource (poisson ou coquillage) sur celle-ci. Il est également possible d’explorée (poser un bateau) celle d’un adversaire à la condition de lui donner directement la ressource indiquée par cette route. Ensuite, en voyageant les joueurs ont la possibilité d’emprunter ces voies explorées (sur lesquelles leur bateau est posé) pour déplacer les meeples de tribu d’îles en îles. De la même manière que pour l’exploration, un joueur a le droit d’emprunter les voies de ces adversaires en respectant deux conditions : payer le coût de la route maritime (signalé par la ressource placée sur cette voie) et avoir un guide, c’est à dire pouvoir déplacer avec soit un meeple appartenant à l’adversaire. Sans ces pré-requis, il n’est alors pas possible de se déplacer. Le jeu devient alors fortement interactif puisque toute la stratégie consistera à bloquer un adversaire en cassant les chaînes de transmission entre les îles. Tout en sachant que ces déplacements vont vite se transformer en course car les joueurs qui atteindront certaines îles en premier pourront obtenir des jetons bonus permettant de gagner des ressources ou de marquer des points en fin de partie.
Rien de bien compliqué jusqu’ici, il est donc temps d’aborder le twist du jeu qui réside dans le marqueur de phase qui vient quelque peu complexifier la stratégie. Celui-ci indique la valeur de l’action des joueurs. Ainsi, en phase trois l’action voyager permet de se déplacer trois fois mais à l’inverse l’action exploration aura un coût de trois ressources. Le numéro de phase régit également le nombre de ressources à récupérer lors de la pêche. Le calcul est vite fait, mieux vaut donc se déplacer en phase trois et explorer en phase une… mais ce n’est pas si simple ! Car le choix des actions se fait souvent en réaction des autres joueurs et des possibilités : opportuniste et blocage font souvent bon ménage dans Polynesia.
Une fois que les participants ont terminé leurs tours, le marqueur passe par la case volcan (aïe aïe aïe) et le premier joueur doit piocher un cube dans un sac. Un cube rouge signifie que le volcan gronde mais s’il est noir rien ne se passe. Lorsque le sixième cube rouge est pioché, le volcan explose sonnant alors la fin de la partie. Plus les manches avancent et plus la sueur perle sur le front des joueurs au moment du tirage : par cette mécanique, il est impossible de savoir quand la partie se terminera ! Aux joueurs de jauger le temps devant eux pour réaliser le plus efficacement leurs actions. Après la phase volcan, c’est la pénurie. Tous les joueurs doivent alors défausser toutes leurs ressources poissons ou coquillages suivant le choix du premier joueur. Mieux vaut donc garder un œil sur les ressources du premier joueur pour anticiper cette phase. Enfin, c’est la phase de l’abondance durant laquelle chaque meeple présent sur une île ayant un symbole poisson ou coquillage permettra de produire les ressources en question. Le jeton premier joueur tourne, une nouvelle manche débute jusqu’à ce que le volcan fasse boum !
Seul sur le sable, les yeux… rivés sur le score
Si le principal objectif de Polynesia est de mettre à l’abri le plus de membres possible de sa tribu, il s’agit également d’une course aux points. En effet, plusieurs éléments permettent de scorer. En début de partie, trois cartes marée numérotées de 1 à 3 sont piochées au hasard. Celles-ci modifient la mécanique et ajoutent des éléments de scoring ; récupérer des jetons masques, avoir la majorité de bateaux présents sur le plateau, etc. Consultables dès le début de la partie, ces cartes marées apportent encore plus de tacticité et d’interaction dans la partie (et du renouvellement). Certaines îles marquées d’une tortue permettent de marquer des points en fin de partie à la condition d’avoir au moins un meeple présent sur celles-ci. Aussi, les joueurs possèdent chacun un plateau personnel constitué d’une réserve de meeples. Moins il y en aura dessus en fin de partie et plus les joueurs marqueront de points. Grâce à l’action peupler, il sera ainsi possible soit de poser trois meeples sur l’île de départ, soit de poser un meeple sur une île déjà peuplée. Lorsque le volcan explose, tout meeple encore présent dans sa zone rejoint le plateau et fait perdre des points au joueur. Il est donc primordial de réussir à faire fuir ces meeples au maximum pour espérer marquer des points.
Polynesia, derrière sa superbe édition et ses illustrations dépaysantes, cache un jeu fortement interactif qui prend vite la forme d’une course : atteindre une île en premier pour récupérer un jeton, acquérir la majorité sur telle ou telle ressource pour marquer des points, déplacer ses meeples rapidement pour bloquer l’accès d’une route maritime à un adversaire (et s’éloigner du volcan), atteindre des îles permettant de scorer en fin de partie, etc. A partir d’une mécanique épurée, Polynesia propose une compétition de tous les instants dans laquelle il faudra jouer des coudes pour atteindre les meilleures places en premier. Même avec peu d’actions, les stratégies et façons de scorer sont multiples ; il ne sera pas possible de tout faire d’autant plus que le volcan gronde à chaque manche et pourrait mettre fin à la partie à tout moment ! Cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des joueurs ajoute du piment dans la partie. Mélangez à cela des phases de jeu qui changent les possibilités et coûts des actions, un système de réseaux de voies maritimes bien pensé, et vous obtenez un jeu diablement efficace. Seule ombre au tableau, l’interaction étant au cœur du moteur de jeu de Polynesia, il semble quasiment essentiel de réunir au moins trois joueurs pour exploiter pleinement son potentiel. A deux joueurs, il peut manquer de réels enjeux.
Polynesia, un jeu de Peer Sylvester, illustré par Laura Bevon et David Prieto et édité par Gigamic.
Nombre de joueurs : 2 à 4
Âge : dès 12 ans
Durée moyenne d’une partie : 1 à 2h