Qui aurait pu croire que l’arrivée sur le territoire français en 1997 du septième opus d’une saga de RPG japonais occulte marquerait à ce point un tournant dans l’histoire du jeu vidéo en France ? Que ces petits personnages cubiques évoluant sur la première génération de Playstation toucheraient à ce point toute une génération et graveraient à jamais le nom de la saga Final Fantasy dans les esprits ? À tel point que plus de 25 ans après, le seizième opus de cette même saga verrait le jour sur la cinquième génération de Playstation et provoquerait un torrent de réactions de tous bords.
Poussé sur le devant de la scène par la notoriété de ses prédécesseurs d’une part et par la campagne de communication massive de Square Enix d’autre part, le seizième et dernier opus des Final Fantasy divise en effet la communauté de fans et joueurs de tous horizons s’étant aventuré à tâter le terrain du monde de Valisthéa.
Certains brandissent ainsi en fer de lance la qualité des graphismes et la fluidité de l’animation, d’autres encensent le renouveau de la série apporté par le passage au jeu d’action, tandis que certains regrettent la disparition des combats au tour par tour.
Retour détaillé sur ce petit phénomène vidéoludique de société du point de vue d’un ancien pré-adolescent des nineties dopé aux matérias.
Le début de la dernière fantaisie
Commençons par une rapide rétrospective des Final Fantasy dans nos vertes contrées européennes. Révélée par le fameux septième épisode à la fin des années 90, cette série de JRPG s’est distinguée notamment par la variété et l’originalité des univers fantastiques dans lesquels se sont perdus quantité de joueurs et joueuses au cours des vingt dernières années. Non content de faire voyager ses joueurs dans un univers différent à chaque épisode, disposant de ses propres codes et systèmes de jeu, la série des Final Fantasy est surtout parvenue à se créer une identité bien définie et à l’ancrer profondément dans la mémoire de ses fans grâce à quelques clins d’œil récurrents à chaque épisode.
On retrouve ainsi régulièrement des figures connues au bestiaire de chaque épisode comme les chocobos ou les morbols, dans les invocations ou les créatures divines propres à chaque univers (Ifrit, Shiva, Titan, …) ou encore chez les PNJ comme le fameux Cid, souvent identifié comme le pilote d’aéronef permettant au joueur d’accéder à un vaisseau aérien pour se déplacer plus rapidement sur la carte du monde.
Mais Final Fantasy, c’est également un des premiers jeux de son époque à proposer un système de combat au tour par tour original, basé sur le système Active Time Battle (ou ATB) et sa fameuse jauge, propre à chaque personnage, se remplissant en temps réel pendant le combat et plus ou moins rapidement en fonction de la vitesse de chaque protagoniste. Une fois sa jauge pleine, un personnage ou un monstre peut jouer son tour et ainsi de suite. La particularité de ce système reste son fort dynamisme : un monstre pouvant attaquer plusieurs fois le temps que le joueur décide quelle action exécuter avec son personnage.
Emblématique de la série des Final Fantasy, le système ATB a ainsi été revisité au travers des différents opus et plus récemment dans le remake de FF VII paru en 2020, déjà bien orienté vers l’action en temps réel, où la jauge ne permettait plus que de lancer les coups spéciaux propres à chaque protagoniste. Prémices du changement drastique de gameplay dans le seizième épisode ou non, cela fait quelques opus que Final Fantasy tend à quitter le domaine du JRPG à l’ancienne, ces jeux d’aventures où se multiplient les menus de gestion de l’équipement et des techniques de vos personnages, pour rejoindre les contrées peut-être plus vertes du jeu d’action saupoudré de quelques touches de RPG.
Pour l’exemple, le quinzième épisode, qui mettait en scène le prince Noctis et son groupe de J-pop ses chevaliers royaux avait pris le virage du jeu d’action en monde ouvert en cinquième vitesse pour proposer un mode de combat certes moins complexe mais beaucoup plus dynamique. Un dynamisme alourdi par le torrent de quêtes annexes insipides que proposait le titre, basé sur le ramassage de cailloux aux quatre coins du royaume, rappelant les pires moments de l’histoire du monde ouvert.
Sur ce plan-là, Final Fantasy XVI a fait son choix et tend bien plus vers un beat-them-all linéaire, proposant des enchaînements de couloirs et d’arènes de combats dans une symphonie rythmée par les musiques tantôt inégalables tantôt plus discrètes de Masayoshi Soken, compositeur emblématique de Square Enix également à la manœuvre sur le MMORPG Final Fantasy XIV.
Tirant parti des faiblesses reprochées à l’épisode précédent, FF XVI se veut plus fluide, plus simple, plus attractif auprès d’un public qui pourrait encore ne pas connaître la saga (ils existent) et propose un système de combat facile à prendre en main, une linéarité très similaire à un God of War, et un scénario bourré d’affrontements dantesques et de clins d’œil à l’univers de la série. Un modèle déjà beaucoup plus proche des habitudes de Ryota Suzuki, Directeur en charge des combats sur le projet, notamment connu pour ses nombreuses participations à la saga des Devil May Cry, référence du genre du jeu d’action s’il en est.
Clive May Cry
Il faut ainsi reconnaître une chose à FF XVI, c’est la qualité et le niveau relevé de ses affrontements. Surtout, et avant tout, celui des très nombreux combats de boss proposés par le titre. Loin de la monotonie cinématographique de l’épisode 15, Final Fantasy XVI veut proposer un défi abordable par tous au travers de combats dantesques, demandant tout de même une certaine ressource, un suivi des patterns des ennemis et des affrontements en phases de boss allant très souvent vers un climax explosif.
Et sur ce plan, le jeu est une réussite. Chaque nouvel adversaire de taille saura tenir en haleine le joueur engagé souhaitant optimiser ses combos. Mais FF XVI, s’il est un jeu de belles réussites et de grandes victoires, est également un titre doté d’une certaine monotonie, voire de redondance. Entre chaque affrontement épique se dresse en général un enchaînement de niveaux et de couloirs sans fins vous emmenant d’une arène à une autre, d’un pack d’ennemis à l’autre qu’il vous faudra massacrer sans trop réfléchir.
Si les combats de boss vous envoient donc des décharges d’adrénalines à chaque esquive ou chaque combo bien placé, les affrontements contre les minions auront plus vite fait de vous faire lâcher la manette voire, outrage majeur au joueur aguerri, de vous pousser à équiper l’anneau permettant de réaliser des combos à l’aide d‘un seul et unique bouton pour aller plus vite.
Point ici de stratégie particulière à adopter, de magie élémentaire spécifique à équiper contre certains types d’ennemis et ce quel que soit le niveau de votre personnage ou de votre équipement. Il conviendra surtout et avant tout de bourriner les masses infortunées qui croiseront votre chemin pour pouvoir passer à la suite du niveau.
Compte tenu de la piquance des affrontements de tous types proposés par un DMC ou par sa petite sœur Bayonetta, cette redondance dans les combats « simples » constitue le véritable talon d’Achille de l’opus, dont, on ne le dira jamais assez, les combats de boss révèlent le potentiel épique insoupçonné.
Même constat au niveau de l’équipement ou des objets. Final Fantasy fait partie des ténors du genre en termes de customisation. Nombre de ses opus proposaient un système de jobs permettant de personnaliser les membres de votre groupe, leurs techniques de combat et les magies qu’ils utilisent.
Ici et probablement dans un souci trop important de simplicité, la personnalisation, si on peut l’appeler ainsi, se limite à Clive, le personnage principal du jeu. Certains PNJ rejoindront par moments votre groupe mais hors de question de leur attribuer un style de combat particulier, un petit pin’s augmentant leurs stats voire un tour de magie des familles. Non. Ces derniers vivent leur vie en marchant dans vos pas et se contentent de cogner ce que vous avez décidé de cogner.
Quant à l’équipement de votre personnage, il se limite à trois objets : une arme et deux armures, que vous pourrez améliorer au fur et à mesure de la progression. Celle-ci étant très linéaire, on se contentera donc d’acheter l’arme supérieure une fois que celle-ci sera débloquée dans l’une des deux boutiques du hub principal du jeu en se fiant aux petites flèches vertes indiquant une amélioration de statistiques principales de Clive. La personnalisation s’étoffe toutefois légèrement au niveau des médailles que peut équiper Clive, qui lui permettront de booster quelques statistiques ou de renforcer l’un de ses coups spéciaux, sans aller toutefois bien au-delà.
Il faut toutefois souligner le niveau auquel Square Enix a souhaité pousser l’accessibilité de son titre. En effet, le jeu vous propose dès le début de commencer avec des médailles de soutien permettant d’enchainer des combos, de réaliser automatiquement des esquives ou d’utiliser des potions et objets de soin sans avoir à appuyer sur la moindre touche, pour les joueurs qui auraient juste envie de profiter de l’histoire. Même chose sur les options pour les personnes en situation de handicap. FF XVI est le premier de sa catégorie à proposer une véritable possibilité de personnaliser son expérience à ses besoins : une best practice que nombre de triples A se devraient d’intégrer directement aujourd’hui.
Pommes (I)frites
Parlons maintenant du scénario. Vous incarnez donc Clive, beau brun ténébreux aussi doué dans l’art de l’escrime que dans celui de la magie et un des deux princes héritiers de l’Archiduché de Rosalia, une des nations du continent de Storm. Bien qu’étant l’aîné, Clive ne dispose pas, contrairement à son frère cadet, des pouvoirs accordés par le Primordial du feu Phoenix, l’entité protectrice de Rosalia.
Dans le monde de Valisthéa existent en effet huit Primordiaux représentant chacun un élément, tous affiliés à une des invocations emblématiques de la série. Ces derniers accordent chacun des pouvoirs surnaturels quasi-divins à un humain, élu parmi les élus : les Emissaires. Redoutés tout autant que vénérés, les Emissaires jouent en général un rôle politique important au sein des nations de Valisthéa et sont capables de faire appel à leur Primordial pour déchaîner la furie des créatures titanesques dont ils sont les représentants.
Un incident malheureux dont nous tairons les circonstances pour des raisons évidentes de spoil, forcera bien entendu notre héros à une vie de servitude et de colère, son seul but étant d’élucider le mystère ayant mené à sa situation.
Seulement voilà. Si Clive reste ignorant pendant de longues heures de jeu dudit mystère, les premières minutes de contenu suffiront au joueur lambda pour élucider ce dernier et disposer d’informations qui restent totalement obscures à notre héros. Entendons-nous, on ne parle pas ici de quelques indices laissés ici et là par les développeurs pour permettre à un esprit aguerri de trouver la solution quelques instants avant le climax final. Il est pour ainsi dire littéralement impossible de ne pas disposer des informations dont ne semble pas bénéficier Clive. Cette situation menant donc à une bonne dizaine d’heures de jeu, spectaculaires nonobstant tant au niveau des cinématiques que des fameux combats de boss, pour que le protagoniste principal atteigne le même niveau de compréhension que le joueur.
Un choix inédit qui pourra en laisser plus d’un dubitatif sur la qualité du récit dans son ensemble. Car si dès les premières minutes FF XVI tente de nous convaincre par sa narration mature, posant les bases d’un conflit politique et social d’envergure, ce dernier finit largement par s’éparpiller au fur et à mesure pour ne traiter que certains de ces aspects tout en revenant à des questions très classiques de la saga, liées à la magie, à l’impact des hommes sur la nature et à d’autres thématiques autrement dignes d’un scénario de high fantasy.
Ces dérives ne sont pas inconnues des Final Fantasy mais les transitions maladroites et la disparition pure et simple de certains sujets ou protagonistes tout au long du récit pourra en laisser quelques-uns circonspects. D’autant plus quand n’importe quel personnage d’importance politique pour le scénario peut être littéralement éradiqué de l’histoire en faisant intervenir le Deus Ex subtilement intégré dans l’univers des Emissaires, dont la puissance destructrice aura vite fait de balayer l’obstacle encombrant à la progression du scénario.
En résumé, Final Fantasy XVI est un jeu de grandes réussites, proposant une épopée dantesque doublée de combats absolument divins. Son système de jeu simple permettra à n’importe quel niveau de joueur de profiter de quelques combos bien placés sans pour autant laisser les amateurs de skills sur le bas-côté. On regrettera véritablement la monotonie des affrontements plus banals qui poussent le joueur à foncer dans les couloirs pour atteindre le prochain vrai défi et qui apporte cette lourdeur aux mécaniques de jeu dont on se serait bien passé.
Avec ce jeu et en s’appuyant sur un côté résolument plus mature que les anciennes productions, Square Enix tente ici de construire un récit de dark fantasy, aux enjeux complexes et avec une véritable envie de pousser le joueur à la réflexion. La réalisation parfois maladroite du scénario et les facilités empruntées pour réussir à faire tenir le jeu et son récit sur une cinquantaine d’heures (quêtes annexes incluses) l’empêchent toutefois de se placer parmi les meilleures réalisations du studio.
Il conviendra toutefois à chacun de lui donner une chance. Que vous soyez charmés par la qualité des animations, par la musique par moment inoubliables ou par les phases d’actions d’anthologie, Final Fantasy XVI propose véritablement une expérience adaptable, peut-être pas inoubliable, mais qu’il serait dommage de rater.