Alors que la recette (indigeste) Marvel ne fait qu’aseptiser de plus en plus le film de super-héros et le cinéma de manière générale, DC frappe fort avec The Batman ; une oeuvre sombre, unique, originale, comme une véritable proposition d’auteur.
Et pourtant, le film mettant en scène la célèbre chauve-souris de Gotham partait avec de nombreuses questions : est-il possible de proposer une fois de plus une nouvelle version de Batman ? Comment réinventer le mythe pourtant déjà adapté avec brio sur grand écran ? Robert Pattison a-t-il les épaules pour porter et supporter le costume noir ? Et bien d’autres encore. Ne tergiversons pas plus longtemps, la réponse est oui à toutes ces questions.
Là où le Spiderman de Marvel/Sony a eu droit à de nombreuses adaptations et versions du personnage sans jamais réussir à surpasser la version de Sam Raimi lorsque Tobey Maguire enfilait le costume du tisseur, sans jamais réussir à réinventer le héros. Preuve en est le dernier film en date –No Way Home– qui, malgré son immense succès au box office, donnait à voir la pauvreté du cinéma populaire actuel qui ne fait que surfer sur la nostalgie. The Batman en est le parfait contrepied en prouvant que l’on peut non seulement faire fi du passé cinématographique d’un personnage (annihilant alors la facilité de la nostalgie) mais surtout qu’il est tout à fait possible de le réinventer, d’en tirer la quintessence sombre et violente pour proposer une oeuvre tout à fait unique au milieu des nombreuses itérations précédentes. Défi d’autant plus ardu que Batman a eu droit à des adaptations cultes par le passé : la version gothique de Burton avec Keaton et le Dark Knight de Nolan endossé par Bale.
Une ombre dans la nuit
Après avoir frappé fort avec Joker en 2019, claque sidérale et coup de pied dans la fourmilière du genre héroïque, DC récidive avec The Batman confié à Matt Reeves (Cloverfield, La Planète des Singes 2 et 3). Son pitch :
« Deux années à arpenter les rues en tant que Batman et à insuffler la peur chez les criminels ont mené Bruce Wayne au coeur des ténèbres de Gotham City. Avec seulement quelques alliés de confiance – Alfred Pennyworth, le lieutenant James Gordon – parmi le réseau corrompu de fonctionnaires et de personnalités de la ville, le justicier solitaire s’est imposé comme la seule incarnation de la vengeance parmi ses concitoyens. Lorsqu’un tueur s’en prend à l’élite de Gotham par une série de machinations sadiques, une piste d’indices cryptiques envoie le plus grand détective du monde sur une enquête dans la pègre, où il rencontre des personnages tels que Selina Kyle, alias Catwoman, Oswald Cobblepot, alias le Pingouin, Carmine Falcone et Edward Nashton, alias l’Homme-Mystère. Alors que les preuves s’accumulent et que l’ampleur des plans du coupable devient clair, Batman doit forger de nouvelles relations, démasquer le coupable et rétablir un semblant de justice au milieu de l’abus de pouvoir et de corruption sévissant à Gotham City depuis longtemps« .
L’ouverture du métrage annonce la couleur, ou plutôt son absence de couleurs, de cette nouvelle adaptation. Gotham s’affiche au spectateur dans toute sa noirceur, sa crasse, en proie à la criminalité. Une ville au bord du gouffre, rongée par la vermine, embourbée dans la violence et toujours sous une pluie qui semble infinie. Une Gotham poisseuse, asphyxiée par le mal. Le décor est posé, l’atmosphère en impose ; Greig Fraser, directeur de la photographie, compose un tableau froid et sombre, presque fantasmatique. Une formidable mise en abîme de la ville. Cette introduction n’est pas sans rappeler celle de Blade Runner : la ville n’est pas qu’un décor, c’est un personnage.
Un décor habité par des (bons) flics mais surtout par des corrompus, des politiques (tous corrompus ?) et une ribambelle de criminels et autres mafieux. Il ne manque personne pour incarner cette pièce sombre, ce conte maléfique ? Alors que la nuit tombe sur Gotham, la ville est mangée par les ombres qui la gagnent, les ruelles obscures disparaissent dans le noir. Le ciel assombri par de lourds nuages semble prêt à exploser, à peine éclairé par un projecteur qui dessine un symbole : une chauve-souris. Une peur se distille, déploie ses tentacules car là, dans le noir, se cache la vengeance : Batman. Avec beaucoup de talent, Matt Reeves ramène le personnage à ce qu’il a de plus sombre, de plus violent. Un Batman à la limite du bien et du mal, qui incarne la peur. Un justicier certes, mais en proie à ses démons, flirtant avec la haine et son besoin de vengeance. Reeves fait le choix de réinterpréter Batman sur le plan psychologique, d’en faire un héros torturé voire même un anti-héros. Un boogeyman qui se cache dans le noir incarnant la peur. Le scénario, dont nous ne dévoilerons rien, joue sur cet équilibre entre le bien et le mal de Batman, un Batman revenu à son essence même d’enquêteur, parfaitement incarné par Robert Pattison. Alors que peu de spectateurs auraient parié sur l’acteur, force est de constater qu’il compose un Batman dans ses premières années totalement dérangé, anticonformiste dans son approche du personnage et qui, pour la première fois, ne propose pas de dualité entre Batman et Bruce Wayne. Avec ou sans costume, Wayne/Batman est quasi-asocial, en proie à ses démons. Un personnage sans fard, dur, intriguant. Une véritable nouvelle proposition donc comme un vent de fraîcheur. Le reste du casting est tout aussi bon et donne de la crédibilité à cette pièce sombre qui se joue devant nos yeux ; mention spéciale à Zoë Kravitz qui incarne une Catwoman aussi inattendue qu’émouvante (là encore réinterprétée), Jeffrey Wright en James Gordon sur le fil, Colin Farrel totalement méconnaissable en Pingouin et Paul Dano qui donne toute sa folie au méchant Riddler.
Au-delà du travail esthétique (Fraser), d’une recherche du cadre et d’une réalisation irréprochables (Reeves) et d’un casting de luxe, la noirceur et le sentiment de peur que distille Batman sont renforcés par la bande originale composée par Michael Giacchino. le compositeur livre une symphonie d’une noirceur totale dont le thème, avec ses quelques notes appuyées qui ne sont pas sans rappeler l’Imperial March de John Williams, verse dans le film d’horreur avec ses violons saturés. Cette composition souligne que ce Batman est bien un personnage de film d’épouvante. Une bande originale marquante, perturbante, une des meilleures de Batman, une des meilleures de ces dernières années tout court.
The batman, tout comme Joker en 2019, prouve qu’il est possible de s’emparer d’un genre, d’un personnage, pour le transcender et proposer une oeuvre majeure. Un Batman de film d’horreur, sombre et violent, en proie à ses démons. Au-delà du film de superhéros (presque anti-héros ici), The Batman est avant tout un thriller qui donne à voir un personnage sous sa facette détective avant tout, revenant à l’essence même des comics d’origine. Une oeuvre majeure, réaliste, qui redonne espoir dans un genre qu’on imaginait saturé, en agonie créative. Un film qui tient plus du polar noir que du blockbuster, aussi torturé que son personnage ; déjà culte ? Le meilleur Batman à ce jour ? Réponse dans quelques années.