Très récemment, Fantasy Flight Games a assouvi le fantasme de bon nombre de joueurs en proposant un remake du cultissime Battlestar Galactica mais à la sauce Lovecraftiene. Au menu : mentir, trahir et tenter de survivre. Tous sur le pont, nous levons l’ancre pour une croisière en mer de paranoïa…
1913, quelque part sur l’océan atlantique. Alors que le SS Atlantica crache des volutes de fumée noirâtre, vous arpentez le pont sans chercher à masquer votre inquiétude grandissante. Au fil de la traversée, certains passagers se sont mis à adopter un comportement étrange et ils sont chaque jour plus nombreux à fixer le large en murmurant ce qui ressemble à un antique rituel. Au début, vous avez associé cette attitude au récent naufrage du Titanic qui avait emprunté la même route maritime un an plus tôt et dont la tragédie est encore très présente dans les esprits. Mais vous devez désormais vous rendre à l’évidence : le mal est plus profond. Un meurtre a été commis dans la chapelle du navire et les témoignages faisant état d’ombres menaçantes poursuivant le bateau se multiplient. Vous-même vous sentez de plus en plus irrémédiablement attiré vers les Abysses. Se pourrait-il que votre loyauté ait changé de camp ?
Même pas encore à Arkham ou à Innsmouth que déjà, l’horreur s’invite…
L’Insondable est un jeu semi-coopératif de loyautés secrètes et de suspicion prenant place dans un univers maritime très Lovecraftien. Ici, chaque joueur incarne un passager faisant voile (ou plutôt vapeur) vers Boston. Et si la plupart des joueurs ne rêvent que d’atteindre le port de destination, quelques-uns parmi eux œuvrent secrètement à saboter le navire…
Tout au long de la partie, les joueurs vont enchainer les actions pour tenter de préserver le navire, de sauver des passagers et de ne pas se laisser envahir par les Profonds, ces horribles créatures marines qui se sont hissées sur le pont avec l’objectif avoué d’envoyer le SS Atlantica par le fond. A chaque fin de tour, une crise devra être résolue et si celles-ci auront le mérite de faire progresser le navire dans son périple, elles pourront aussi placer les joueurs face à des choix difficiles ou face à des défis colossaux que, pour le bien du navire ou de la santé mentale des passagers, il serait de bon ton de réussir…
Père Dagon et Mère Hydra sont sur un bateau…
En ce qui concerne les mécaniques du jeu, L’Insondable mêle habilement accessibilité, subtilité et fluidité. C’est bien simple, une fois les quelques règles digérées, on se lance dans l’aventure paranoïaque et on en ressort généralement aussi troublé que conquis. Pour maintenir tout l’intérêt du secret autour des traitres qui évoluent sur le bateau, le jeu propose un système de test de compétence original qui rend la résolution de chaque crise particulièrement tendue. En effet, s’il n’existe jamais aucune certitude quant à la réussite du test, il est aussi très difficile de déduire le ou lesquels d’entre les joueurs viennent de réduire à néant tous les efforts consentis.
Au fur et à mesure de la partie, la tension s’installe, les ressources diminuent, les profonds se montrent plus menaçants et ce, sans même parler des imposants monarques qui rôdent autour du navire, tout prêts à lui faire subir les pires avaries. Voilà donc déjà une intense traversée et qui pourtant peut basculer encore un peu plus dans la paranoïa lorsqu’à mi-partie, une seconde carte loyauté est distribuée à chaque joueur. Quand l’ami d’hier devient l’ennemi de demain (tout en se gardant bien de le dire)…
Bref, dans l’Insondable, on se regarde d’un air suspicieux, on doute, on se méfie, on accuse (parfois à raison mais souvent à tort) et on envoie généralement autant de coupables que d’innocents dans la cale pour leur donner l’opportunité de réfléchir à leurs actes. Une tension palpable et une atmosphère délicieusement méfiante…
…qui tombe à l’eau (sinon toutes vos certitudes) ?
Si l’Insondable séduit grâce à sa mécanique subtile et efficace, il séduit tout autant grâce à l’univers dans lequel il prend place. L’aspect du jeu (particulièrement celui du plateau et des cartes) lui confère un caractère sombre (mais très lisible) et l’inscrit pleinement dans le riche univers issu de l’esprit fécond de H. P. Lovecraft. D’ailleurs, si l’atmosphère de méfiance si particulière aux jeux à loyautés secrètes est à ce point au rendez-vous, la direction artistique n’y est certainement pas innocente.
Bien sûr, à cinq ou à six joueurs (sa configuration idéale et de loin), le jeu peut se révéler assez long (entre trois et quatre heures). Cela dit, il ne s’agit en rien d’un défaut puisqu’au contraire, une fois plongé dans l’atmosphère de l’Insondable, vous ne verrez pas le temps passer. D’ailleurs, et c’est sans doute la meilleure preuve de la qualité du jeu, une fois à quai (ou au fond de l’eau), vous n’aurez qu’une seule envie : reprendre la mer…
L’Insondable, un jeu de Corey Konieczka & Tony Fanchi, édité par Fantasy Flight Games et distribué par Asmodée.
Nombre de joueurs : 3 à 6
Âge : dès 14 ans
Durée moyenne d’une partie : 2 à 4 heures