Après son recueil de nouvelles Knockemstiff et son premier roman Le Diable, tout le temps, unanimement salué par la critique, Donald Ray Pollock nous revient avec « Une mort qui en vaut la peine ». Avec cet ouvrage, l’auteur, que certains n’hésitent pas à qualifier de chaînon manquant entre Faulkner et les frères Coen, confirme son immense talent et s’impose d’ores et déjà comme un incontournable de la littérature américaine contemporaine.
Disons-le sans ambages, l’âme de Pollock est aussi sombre que sa plume est belle. Son roman est poisseux, respire la sueur, le sang et l’alcool frelaté. Il nous entraîne dans une folle épopée au cœur d’une Amérique à la croisée des chemins où la modernité frappe à une porte que les faux cow-boys et les vrais paysans hésitent à ouvrir.
1917. Les trois frères Jewett, que leur père, dévot jusqu’à l’extrême, a entraînés dans une vie miséreuse de privations et de labeur sans fin, se retrouvent livrés à eux-mêmes. Leur paternel est parti goûter au banquet céleste dont il parlait tant laissant Cane l’aîné, Cob le simplet et Chimney le chien fou maîtres de leurs décisions pour la première fois de leur vie. Après un court instant de réflexion (il faut bien dire que ce n’est pas leur point fort) et enhardis par La vie et les aventures de Bloody Bill Bucket, un mauvais roman qu’ils ont lu à en user les mots, les frères Jewett deviennent le gang Jewett, se muant en voleurs de chevaux, dévaliseurs de banques et tueurs occasionnels.
Évidemment, Pollock ne serait pas Pollock si son histoire se résumait à cette fratrie de bandits et la force de l’auteur réside dans sa capacité à créer un univers dense dans lequel le fil rouge finira par trouver son chemin. Des plaines de Géorgie à la bien-nommée Grange aux putes en passant par le Camp militaire Pritchard, nous assistons impuissants à la déliquescence d’une Amérique rurale où chacun cherche sa place sans jamais vraiment la trouver. L’histoire se tisse petit à petit comme une toile d’araignée engluant les différents protagonistes dont les chemins finiront par se croiser (quoiqu’assez tardivement) pour une fin en apothéose.
Nous l’avons dit, Donald Ray Pollock avait placé la barre très haut avec son précédent roman mais l’appréhension de voir « Une mort qui en vaut la peine » ne pas réussir à rivaliser avec son prédécesseur disparaît vite tant, au fil de premières pages, on retrouve le style corrosif qui nous avait jadis tellement séduit. L’auteur nous offre ici un récit hautement addictif dont il difficile de s’extirper. Quand on repose le livre (ce que l’on fait toujours à contrecœur), on ne quitte pas les personnages et on se surprend à dérouler dans nos têtes ce que l’on imagine être la suite de leur histoire.
Si un bon roman roman se reconnaît parfois au sentiment de tristesse et de trop peu que l’on ressent quand on en tourne la dernière page, celui-ci en fait incontestablement partie. Aspirés par les aventures auxquelles Pollock a donné vie, nous en aurions voulu plus, toujours plus…mais, avouons-le, ç’aurait été injuste car nous aurions été insatiables.
Une mort qui en vaut la peine, un livre de Donald Ray Pollock édité par Albin Michel