Victor Hugo, Violette Leduc, et Ahmadou Kourouma en collé-serré sous la boule à facette, c’est un peu incongru, et c’est pourquoi « Ce n’est que vers deux heures du matin qu’ils parvinrent à convaincre l’assemblée de la nécessité de la littérature dans une boite de nuit. » ! Lucien y griffonne dans son carnet, Requiem y manœuvre son monde, Malingeau y cherche à publier – ce qui le promeura dans la hiérarchie de la discothèque. Dans un monde en fête, mais en ruine aussi, où tout s’en va – que ce soit en tram ou en train – quel place donner à la littérature ? N’y a-t-il pas plus urgent à faire que de rêver ?
Le texte s’écroule, fragmenté par des listes, éclaté par des paroles que l’on ne sait pas à qui attribuer ; le rythme est haletant, et accentué encore par la voracité pantagruelique qui anime les personnages, foudroyés d’absurdité, littéralement assoiffés de sexe, de bière, d’urgence de vivre. Dans ce discours fleuve où beaucoup est suggéré plutôt qu’écrit, évoqué plutôt que développé, le réel se mêle à la fiction, les références bibliques, cinématographiques, et artistiques s’entrechoquent. C’est un roman plus cacophonique que polyphonique, qui se moque bien de la tradition plus ou moins supposée de « l’oralité » en littérature francophone.
Si Tram 83 est orgiaque à ce point, c’est parce que dans la vie comme en littérature, il faut toujours partir de tout pour arriver à quelque chose. Reconstruire, c’est assembler des éléments hétéroclites. L’écriture, ce n’est pas différent, comme le montre Fiston Mwanza Mujila en se mettant en scène dans le personnage de Lucien à qui il fait expliquer sa « poétique du tram », pas si différente du « métro émotif » célinien : « Je me rends compte que je cherche désespérément dans mes phrases les souffles de vie qu’ont ces trains-là, les trains d’ici. La prestance, l’orgueil, la rage canine, la vétusté et la rouille qu’ils traînent. Je cherche dans mes phrases la romance qu’ils affichent et trimbalent. Bref, j’ai un faible depuis quelque temps pour les chemins de fer… J’ai cherché l’homme, j’ai trouvé le train. (Rires) ».