Dans son roman Grâce et dénuement, récompensé par le prix Culture et bibliothèques pour tous, Alice Ferney nous parle des Gitans. Ce peuple devenu aujourd’hui nomade par obligation, d’expulsion en expulsion, peuple que la société se refuse à accepter, à intégrer. Peuple que l’on refuse de voir et donc que l’on oublie, qui vit en dehors du système ou plutôt qui survit, et qui puise dans cet abandon du monde le moyen de faire perdurer les liens du sang, pour le meilleur et pour le pire. C’est le sacre de la famille quand il ne reste plus que ça, peu importe qu’elle rende heureux ou détruise les êtres.

Cette existence là, dans son dénuement radical, frappe le lecteur : la compréhension immédiate des difficultés à mener cette vie n’a pas besoin qu’on en rajoute. Pourtant, échappant au piège facile du misérabilisme, Alice Ferney n’en tombe pas moins dans celui, plus stylistique, du sentimentalisme. Certains passages, âpres et durs par la tragédie qu’ils racontent, sont ainsi presque étouffés, noyés derrière une volonté de fuir le simple réalisme.

Mais si Alice Ferney s’obstine à placer son récit derrière un filtre émotionnel parfois opaque, c’est avant tout pour nous raconter l’essence même de la vie gitane. Dans cette vie primitive qui n’est là que par le fait d’être au monde, on s’aperçoit, à rebours de ce que nous dit Esther, la bibliothécaire altruiste et personnage clé du roman, que la vie se suffit à elle même. Car cette vie, qui maintient debout les adultes, n’existe que par la promesse portée par la nouvelle génération. Etre vivant, c’est aimer, et aimer c’est avoir des enfants. On vit pour donner la vie, le reste, on s’en accommode. Par fatalisme. Ne plus aimer, ne plus pouvoir avoir d’enfant, c’est perdre sa place dans l’existence.

Cet élan vers la chair, omniprésent, dévore le reste. Mais Esther, elle, voit dans la jeunesse ou tout est encore possible le moyen de s’ouvrir au monde. Au delà de la fierté du groupe et du repli communautaire, avec patience et ténacité, cette femme qui ne dévoile rien d’elle ou presque va amener avec ses livres un nouveau regard vers l’avenir. On ne sait pas si cela suffit ou suffira ; Alice Ferney nous fait comprendre que l’important c’est d’essayer, sans faux jugements, sans idées préconçues, et surtout sans œillères. Qu’il n’y a jamais de fatalité et que décidément, pour être heureux, non, la vie ne se suffit pas.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.