« L’action se déroule en 1981, à Gotham City, et suit Arthur Fleck qui travaille dans une agence de clowns. Méprisé et incompris, il mène une vie en marge de la société et vit dans un immeuble miteux avec sa mère. Au fil d’événements tragiques, Arthur va plonger petit à petit dans la folie et devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique ».
Projet décrié et redouté au départ, cette version du Joker, se voulant une histoire originale non adaptée des comics, a su éveiller la curiosité au fil du temps. Sacré meilleur film lors de la dernière Mostra de Venise, le long-métrage a créé un véritable engouement auprès du public. Carton au box-office, le film est-il le chef d’oeuvre annoncé ? Réponse dans notre critique.
Hollywood n’est pas mort
N’y allons pas par quatre chemins, oui Joker est bien le chef d’oeuvre annoncé ! Une claque cinématographique, une oeuvre essentielle qui prouve non seulement qu’Hollywood n’est pas mort, mais qu’il est possible de réaliser un film de comics résolument mature, dure, à l’opposé total de la recette minable imposée film après film par le géant Marvel.
Cette origin story du Joker, imaginée par le réalisateur Todd Phillips, se veut une étude de cas clinique à la fois de son personnage, Arthur Fleck, et de notre société. Car si le film se déroule dans les années 80, il n’aura jamais autant résonné avec notre monde actuel. Un brûlot violent qui transforme le rêve américain en véritable cauchemar, dans un monde où être différent fait de vous un paria, dans un monde où le moindre rêve est écrasé, moqué, avant même d’avoir pu éclore, dans un monde où l’individualisme prime, dans un monde où la révolte du peuple contre ses élites résonne dans les bas fonds de la ville. Bienvenue à Gotham City, à une époque où Batman n’est encore qu’un enfant et où la révolte du peuple n’attend que les agissements d’un homme pour se déchaîner.
Etude de cas
Cet homme, c’est Arthur Fleck, interprété avec une intensité rare par Joaquin Phoenix. Atteint de troubles psychologiques dont le plus handicapant étant d’être pris de fous rires, ce qui est un comble pour ce personnage cherchant à se fondre dans la société. Ce rire irrépressible, survient dans les situations les plus dramatiques, le mettant en avant dans un monde qui tente par tous les moyens de le rejeter, un délire comportemental qui l’isole de plus en plus de la société, le rend d’autant plus vulnérable. Par ce rire, c’est son profond malaise qu’il communique. Arthur est donc un paria qui enchaîne les désillusions et devient donc exclu d’un monde qui n’a jamais voulu de lui. Au fil des désenchantements, des rancœurs, des souffrances, le psychopathe qui sommeille en lui s’éveille, c’est alors que son double maléfique, le Joker, prend le contrôle. Et c’est sous son maquillage de clown qu’il révèle toute sa folie. Le passage de ce pauvre bougre à un personnage maléfique, violent, est parfaitement mis en scène par Todd Phillips aidé par un scénario parfaitement rodé, qui dévoile ses enjeux et sa dramaturgie tout au long du film. Au début du long-métrage, on se prend de sympathie pour le personnage, on le comprend, l’empathie est à son comble pour le spectateur. Puis, c’est là toute l’intelligence du scénario, tout dégringole. Arthur se transformant peu à peu en Joker, le spectateur devient le témoin des actes insoutenables qu’il commet, le dégoût se fait alors ressentir, mais trop tard nous sommes déjà pris au piège. Les actes de plus en plus innommables s’enchaînent, et nous y assistons, impuissants. Cette violence crue prend aux tripes et ne lâchera pas le spectateur jusqu’aux derniers instants du film, l’emmenant vers un inéluctable chaos total. On ressort de la séance lessivé, épuisé, mais avec le sentiment d’avoir vécu un grand moment de cinéma qui restera dans les mémoires.
Si l’on pouvait reprocher aux films du genre leur manque de profondeur, il n’en est rien dans Joker qui est une véritable claque cinéphile, un véritable film d’auteur porté avant tout par Joaquin Phoenix. L’acteur dévoile ici sa prestation la plus personnelle, la plus habitée, passant par toutes les émotions. Capable de provoquer à la fois la compassion comme le dégoût chez le spectateur, Phoenix passe de la pitié à la démence. Son rire, véritable handicap au début du film, devient le trait de la folie de son personnage. Hanté par le personnage, l’acteur trouve ici le plus grand rôle de sa carrière. Par sa gestuelle, sa palette d’émotions, sa densité, Phoenix fait littéralement vivre ce joker. Un jeu sublimé par la réalisation sans fioritures, crue, de Todd Phillips, aux relents scorsésiens rappelant notamment La valse des pantins.
Joker est une véritable claque qui restera dans l’histoire du cinéma. Prenant aux tripes par sa violence, son cynisme, son réalisme, le film est une analyse clinique de la folie réalisé avec une intelligence rare. Un cauchemar sanglant, brutal, corrosif, un véritable brûlot contre la société, les médias et la politique. Porté par un Joaquin Phoenix au sommet de son art, Joker prouve que le cinéma n’est pas mort. Un récit puissant à découvrir de toute urgence !