Quatre ans après Fire Emblem : Three Houses, la série emblématique de JRPG tactique de Nintendo revient sur le devant de la scène avec un épisode qui, s’il ne mise pas nécessairement sur un concept révolutionnaire, apporte un peu d’eau fraiche au moulin de la saga dosé d’une fine touche de nostalgie.
Annoncé sur Switch à grand bruit à l’occasion du Nintendo Direct de Septembre 2022, Fire Emblem : Engage, promettait dès le début de poursuivre l’ouverture de la saga au grand public et aux néophytes de cette série tactique de capes et d’épées, désormais véritable référence pour les connaisseurs du genre.
Une ligne de conduite initiée en 2012 avec le soft reboot de la série, Fire Emblem : Awakening, édité sur 3DS et renforcée par le succès international du gacha game et très (très) populaire Fire Emblem : Heroes sur mobile. La babiole n’aura ainsi rapporté depuis son lancement en 2017 que quelques 700 millions de dollars à son éditeur selon Statista.
Avec la tentative de Fire Emblem : Three Houses, certes réussie, de développer des scénarii multiples, soutenus par un casting de personnages travaillé, mais qui pêchait par la redondance et la lourdeur de certaines mécaniques, par les incohérences scénaristiques multiples et par le manque de dynamisme des animations comparé aux opus les plus récents sortie sur la précédente génération de consoles, le dernier né de Nintendo et d’Intelligent Systems, le studio en charge de la production des Fire Emblem, se devait d’apporter quelque chose de nouveau et surtout, de briller par une mécanique impeccable, voire améliorée. Spoiler : c’est une réussite selon votre serviteur.
Engagez vous, rengagez vous qu’ils disaient…
Fire Emblem : Engage, c’est donc l’histoire d’Alear qui, outre son prénom à coucher dehors, est l’un des dragons divins protégeant le continent d’Elyos, que se partagent cinq nations distinctes : Firene, la nation pacifique des petites fleurs dans les cheveux, symbole de paix et d’harmonie, Brodia, pays montagnard de guerriers basé sur la loi du plus fort, Solm, pays désertique essentiellement neutre politiquement, Elusia, contrée glaciaire vénérant le dragon déchu Sombron (les méchants quoi), et enfin Lythos, terre sacrée de lumière où vivent les dragons divins (les gentils quoi).
Endormi depuis plus de 1 000 ans après la défaite de Sombron, Alear émerge de son sommeil lorsque le dragon déchu et ses adeptes refont surface. Pour combattre la menace, Alear, devenu amnésique pour bien correspondre à l’éternelle (et démodée) mode du héros « Avatar » de Fire Emblem, devra rassembler les anneaux de pouv les Emblèmes, des anneaux magiques renfermant l’esprit de héros venus d’autres dimensions, capables de conférer des pouvoirs extraordinaires à leurs utilisateurs et de bannir à nouveau le terrible Sombron.
Vous l’aurez certainement déjà compris à la lecture de ce synopsis, Fire Emblem : Engage ne brille pas nécessairement par son scénario. Ce dernier fait même pâle figure face à des monstres du genre comme Triangle Strategy ou Tactics Ogre. Exit donc l’intrigue politique étriquée que mettait en avant Three Houses ou les enjeux éthiques et sociaux d’un Path of Radiance.
Engage se concentre davantage sur les mécaniques de jeu et le fan service (vous avez bien lu). Et de ce côté, encore une fois, c’est une réussite. A tel point qu’on s’accommode assez rapidement de l’intrigue bateau, des platitudes de notre gentil héros-dragon et des personnages clichés tout droit sortis de vos shonen préférés (on y reviendra).
Mécaniquement-parlant, Engage brille donc et met à l’honneur une prise en main facilitée et une nouvelle mécanique, les Emblèmes, qui ravira les amateurs de Super Sentai. Ces anneaux, au nombre de 12 hors DLC, hébergent chacun l’esprit d’un héros des opus précédents de la série.
On retrouve ainsi plusieurs figures bien connues dont le Roi Héros Marth (Fire Emblem : Shadow Dragon & the Blade of Light), la princesse Celica (Fire Emblem : Gaiden) ou encore le mercenaire Ike (Fire Emblem : Path of Radiance et Fire Emblem : Radiant Dawn).
Équiper un de vos soldats de l’un de ces anneaux lui confèrera un bonus de statistiques mais également de nouvelles compétences passives pouvant influer très fortement sur la façon d’utiliser votre combattant : Marth prodigue ainsi un bonus d’esquive passif en combat mais uniquement si vous initiez l’attaque. Roy, le héros de Binding Blade, vous permettra de survivre à 1 point de vie au prochain combat quels que soient les dégâts infligés par votre adversaire et Micaiah, de Radiant Dawn, permettra à votre combattant d’utiliser les bâtons de soin, quelle que soit votre classe de base.
Ces compétences se voient renforcées à mesure que vous développez le lien entre votre personnage et l’Emblème dont il est équipé. Plus un de vos soldats combat aux côtés de son Emblème, plus leur relation se développe et plus vous débloquez de nouveaux passifs, allant d’un simple boost en esquive à de vrais game changers.
Force Rouge !
Mais nous parlions de Super Sentai, ces séries live action apparues initialement au Japon où un groupe de héros, souvent des adolescents, affronte des menaces intergalactiques grâce aux pouvoirs que leurs confèrent leurs armures colorées. Pour ceux qui ne voient toujours pas il conviendra de préciser que leurs représentants les plus connus en occident sont probablement les Power Rangers.
Le porteur d’un Emblème aura ainsi la possibilité de fusionner avec son esprit, prenant une nouvelle forme super-héroïque, aux couleurs du héros de l’Emblème, et débloquant notamment les compétences « ultimes » de l’Emblème, dont un finisher souvent dévastateur.
Mention spéciale au passif de la fusion avec Sigurd, personnage phare de Genealogy of the Holy War, probablement la compétence la plus puissante de la saga, tout opus confondus.
Cette sorte de « Méga Evolution » à la sauce Fire Emblem (le fameux « Engage » en bon anglo-japonais), ne dure que trois tours mais transforme votre héros en un véritable monstre surpuissant boosté aux hormones. Qu’il s’agisse des nouveaux passifs lui permettant de se déplacer à sa guise sur la carte ou des nouvelles attaques lui permettant d’écraser sans sourciller un adversaire en pleine forme, la transformation change réellement la donne.
On aurait donc en toute légitimité pu craindre que cette mécanique, permettant de transformer une bonne partie de votre armée en bulldozers inarrêtables l’espace de quelques tours, rendrait le jeu trivial et la stratégie caduque. Ce n’est pas tout à fait le cas.
En effet, les ennemis éprouvent de réelles difficultés à stopper votre avancée, même en mode difficile et il faudra attendre de filocher avec le mode maddening pour reprendre une petite dose de défi. La véritable réussite de cette nouvelle mécanique reste toutefois le plaisir pur et dur de son utilisation, surtout lorsqu’on tient compte du fait que chaque attaque, chaque coup spécial dispose désormais de sa propre animation.
Car au contraire de son prédécesseur, le premier opus sorti sur Switch rappelons-le, Engage est beau et tire pleinement partie des capacités de la console. Les animations sont fluides, les textures travaillées, toutes les attaques spéciales disposent de leur animation dédiée. On le répète mais il s’agissait là d’une vraie faiblesse de l’opus précédent qui rendait les combats cruellement répétitifs et poussait bien souvent le joueur à désactiver les animations de combat.
Habemus Somniel
Autre point positif du côté de la mécanique : le hub central. Ou plutôt la non-obligation de passer par le Somniel, une île sacrée accessible uniquement au dragon divin et à ses alliés. Là où le monastère de Three Houses constituait un passage obligatoire et à la longue redondant voire terriblement ennuyeux, le Somniel brille ici par son coté parfaitement optionnel. Entre chaque combat le jeu vous permettra de vous y rendre pour effectuer les traditionnels dialogues de soutien, amélioration de vos armes et de vos Emblèmes et d’autres activités, mais cette décision vous revient entièrement.
Libre au joueur pressé ou ennuyé par les activités annexes de ne jamais revenir au Somniel et d’enchainer l’histoire à la manière d’un des grands classiques de la saga.
Parmi les autres activités optionnelles notables, on retrouvera au passage des combats d’arènes, qui permettent d’entrainer vos héros ou de renforcer leurs liens avec les esprits des Emblèmes, quelques mini-jeux permettant de booster les stats de votre héros et notamment un mode multijoueur proposant d’opposer vos personnages à ceux d’autres joueurs ou d’enchainer des cartes de combats en équipe.
Enfin, vous aurez en parallèle des 12 Emblèmes principaux du jeu, la possibilité de forger des Emblèmes mineurs, représentant des personnages directement issus des univers des esprits majeurs. Ces derniers demandent des « points de lien », que vous pourrez récupérer entre chaque combat et grâce aux activités du Somniel, et permettront d’équiper vos personnages dépourvus d’Emblèmes avec des petits boosts de statistiques.
L’influence du gacha Fire Emblem : Heroes se fera d’ailleurs à nouveau ressentir à ce moment précis puisque la création d’anneaux mineurs vous donnera à chaque fois un résultat aléatoire. Chaque anneau mineur est en effet lié à un personnage de la série et dispose d’un rang lui étant propre allant de C à S, un anneau de rang S étant naturellement plus puissant qu’un anneau de rang A, B ou C. Pour obtenir les fameux personnages de rang S, il vous faudra soit un peu de chance, soit fusionner des anneaux de rang inférieurs liés à un personnage précis entre eux. Un principe très proche de celui de l’amélioration de personnages de Heroes.
Pour le joueur donc qui n’a pas peur des menus par dizaines ou pour celui que l’aspect JRPG naissant des derniers Fire Emblem attire, le Somniel reste bien une véritable usine à gaz, permettant d’optimiser et de renforcer vote armée à l’envie.
Sombron dans les clichés
Mais ce qui fait le cœur d’un Fire Emblem c’est naturellement son casting riche et élargie, qui dépasse à ce jour les 600 personnages jouables sur l’ensemble de la série. De ce côté, Engage semble avoir abandonné les ambitions avancées par Three Houses pour revenir à un style plus simple, beaucoup plus proche d’un bon vieux shonen des années 90, tant sur le style graphique, avec ce grain très particulier au design des personnages, que sur leur caractère.
On retrouvera ainsi les archétypes typiques de cet art comme le héros au grand cœur, la jeune fille étourdie, l’homme mystérieux aux motivations troubles et au look gothique, la jeune fille en fleur dont l’armure ne semble protéger pas grand-chose d’autre que sa pudeur (et encore…).
A chacun sa préférence naturellement. Toutefois, si cet aspect shonen, vraisemblablement destiné à séduire un nouveau public ou à taper dans le cœur des vieux briscards du genre, n’est pas pour déplaire à certains moments à votre serviteur pour son lin inhérent avec quelques nostalgies d’antan, il renforce toutefois l’impression de vide laissée par le départ en vacances du scénario.
A travers des opus comme Path of Radiance et plus récemment Three Houses, Intelligent System avait par le passé déjà montré sa capacité à créer de toutes pièces des histoires engageantes, prenant place au sein d’univers riches et mystérieux, portées par des personnages charismatiques et attachants.
Si la mécanique de Fire Emblem : Engage, bien huilée, ravira le fan moyen il reste toutefois dommage que son scénario et ses enjeux nous laissent autant de marbre. Les Emblèmes restent malgré tout une idée intéressante et, surtout, divertissante même si les amateurs de difficultés et de stratégie à la rude feront certainement la moue.
Fire Emblem : Engage est donc un jeu simple mais dont la maitrise technique reflète l’expertise du studio à son origine. Une simplicité qui reflète ce désir d’accessibilité mis en avant par Intelligent Systems sans pour autant gâcher le plaisir de jeu des habitués. On en reprendre volontiers une part sans se priver.