Les fidèles lecteurs de Stephen King le savent, s’il est un écrivain prolifique, auteur de bon nombre de pavés, le maître de la littérature américaine est particulièrement friand de nouvelles. Preuve en est les différents recueils qui parsèment sa bibliographie (dont les excellents Différentes Saisons et Nuit noire, étoiles mortes). Entre deux romans, c’est donc avec un nouveau recueil de nouvelles que nous revient le King, avec un titre alléchant et qui annonce la couleur : Si ça saigne. Comme le requin ayant flairé le goût du sang, nous nous sommes jetés sur cette nouvelle proie pour en dévorer les pages !
If it bleeds, it leads !
Dans ce bouquin de 400 pages, King nous a gratifié de quatre nouvelles dont l’une pourrait plutôt se classer dans le genre de la novella (ou roman court). Débutons par celle-ci puisqu’elle donne son titre au recueil « Si ça saigne ». Si vous avez lu sa trilogie policière autour de l’inspecteur Bill Hodges (Mr Mercedes, Carnets noirs, Fin de ronde), puis l’Outsider, le nom de Holly Gibney devrait vous parler. Personnage quasi secondaire dans un premier temps, cette jeune femme maniaque, faisant face à quelques troubles psychologiques, s’est imposée au fil des pages dans le cœur des lecteurs… et de l’auteur lui-même. King avouant d’ailleurs : « J’adore Holly et j’aurais aimé qu’elle soit une vraie personne… elle a volé mon cœur ». Il n’est donc pas étonnant de découvrir que cette nouvelle lui est consacrée, avec un pitch fortement entraînant : maintenant gérante de l’agence d’investigation Finders Keepers, Holly Gibney passe une journée plutôt banale. Alors qu’elle prend sa pause quotidienne devant son émission télévisée préférée, un flash info perturbe la diffusion du programme ; une explosion dans une école faisant plusieurs dizaines de morts et de blessés. Au-delà de l’atrocité du drame, il y a un détail qui chiffonne notre inspectrice préférée… Les images du flash trottent dans sa tête, comme une mélodie lancinante. Quelques chose la dérange dans le comportement et le physique du reporter qui faisait partie des premières personnes sur place. Mais quoi ? Et si elle avait mis la main sur un nouvel Outsider ?
Le personnage étant tellement attachant, le déroulement de l’intrigue qui navigue entre véritable enquête policière et éléments de la vie personnelle d’Holly étant tellement prenant, qu’il est presque difficile de quitter cette histoire au bout de deux cent pages. L’histoire aurait presque méritée un roman entier mais le maître a décidé qu’il n’y avait pas assez de matière. Peut-être reverrons nous le personnage à l’avenir ? Toujours est-il que Si ça saigne, dont le titre est emprunté à l’expression journalistique « si ça saigne, ça fait la Une ! », fonctionne parfaitement, en réinventant en quelque sorte le mythe du vampire saupoudré d’une touche de modernité. Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de découvrir cette histoire bien tordue.
Moments de vie
Trois autres nouvelles composent ce recueil, et parmi celles-ci on y trouve de véritables pépites. Deux d’entre elles parlent de la mort et du deuil, de manière à la fois subtile et originale. Le Télephone de M. Harrigan, est un récit conté à la première personne par un adolescent avec une petite touche de fantastique propre à Stephen King. Une belle histoire de vie qui, au-delà du travail de deuil, s’intéresse également à l’évolution technologique. Pour vous donner l’eau à la bouche : comment réagiriez-vous si le téléphone d’un mort, emporté dans sa tombe, continuait à sonner des mois et des années plus tard ? Et si, dans le même temps, ce coup de fil pouvait avoir des conséquences dramatiques ?
La Vie de Chuck est la seconde nouvelle qui s’intéresse à la mort, ou plutôt qui part de la mort pour s’intéresser à la vie. Tout à fait originale dans sa construction sous forme de triptyque raconté à rebours, cette histoire mêle le fantastique, le conte, l’horreur, la passion. Une jolie histoire de vie, bouleversante et magnifiquement racontée.
Enfin, le recueil ce conclu par Rat. Avec une thématique ayant un petit air de déjà vu dans l’œuvre du King : les difficultés du travail d’un écrivain et ses obsessions. Sous ses airs de huis clos fiévreux, Rat met un écrivain face, non pas au syndrome de la page blanche, mais à l’abondance de mots et donc à la difficulté du choix de la bonne expression. Malin, intelligemment écrit, angoissant, le récit prend la forme d’un conte moderne.
Si ça saigne est un superbe recueil de Stephen King qui, une fois encore, nous rappelle la place importante de la nouvelle dans la littérature. Comme un bonbon ce genre cache sous son emballage toutes formes de couleurs et de saveurs, et mêle la douceur à l’acidité tout en se dégustant rapidement. Faites confiance à ce confiseur littéraire à l’imagination débordante, sa boutique recèle de nombreuses délicieuses surprises !