S’il est un écrivain dont il est ardu d’adapter l’oeuvre c’est bien Stephen King. Et pourtant, quiconque a lu du King sait à quel point l’oeuvre de ce formidable conteur est fortement cinématographique. Un pitch de départ emballeur, une plume à la fois familière et riche à l’imagination sans limite, et un talent pour poser une ambiance sans commune mesure. Néanmoins, si la majeure partie de la bibliographie de Stephen King a eu droit à une adaptation sur petit comme grand écran, la plupart de ces films sont au mieux oubliables, au pire de véritables navets.
Nous ne nous perdrons pas dans une analyse interminable, toutefois, à y regarder de plus plus près, le point commun entre ces mauvaises adaptations est assez simple à trouver : toutes se sont écartées du matériau de base perdant l’essence même du style du King. A contrario, les plus fidèles adaptations ont donné naissance à des chefs-d’oeuvres du grand écran comme La Ligne Verte, Les Evadés ou encore Stand By Me. Et puisqu’il faut toujours une exception qui confirme la règle, citons The Shining, la version de Kubrick étant très personnelle en rapport au pavé originel.
Bref, venons en maintenant à The Outsider, série signée par la prestigieuse chaîne à péage HBO (dispo sur OCS en France), qui adapte le livre éponyme de King paru chez nous en janvier 2019. Une adaptation que l’on peut classer dans la catégorie » fidèle » et qui donne lieu à une superbe série à l’ambiance glauque soignée.
Un mal pernicieux
L’histoire débute à Cherokee City, une petite bourgade de Géorgie, lorsque le corps du petit Franck Peterson, sauvagement mutilé et violé est retrouvé dans les bois. L’inspecteur Ralph Anderson, chargé de l’enquête, en est certain, le meurtre a été commis par Terry Maitland (Jason Bateman), un citoyen fortement apprécié par la communauté. Témoignages des témoins, caméras de surveillance, ADN, tout semble désigner Maitland comme le coupable, et pourtant. Car, d’autres preuves irréfutables montrent que l’accusé était au moment du meurtre à des centaines de kilomètres du lieu où on a retrouvé le petit Peterson. Et comme le faisait dire Arthur Conan Doyle à Sherlock Holmes » Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est nécessairement la vérité « . L’inspecteur Anderson va alors se retrouver à faire équipe avec Holly Gibney, une détective privée, et devra remettre en question ses croyances les plus rationnelles car c’est une force surnaturelle qui déploie son ombre sur cette affaire.
Auteur de séries de prestige comme The Wire, The Nigh Of, et plus récemment The Deuce, Richard Price continue sont sans-faute sur HBO avec The Outsider. Scénariste intelligent, Price s’est attaché à être le plus fidèle possible au livre d’origine tout en y apportant quelques détails télévisuels. Il signe alors une des meilleurs adaptations du King depuis bien des années. De par son ambiance tout d’abord, poisseuse, glauque, presque étouffante où se mêle une certaine lenteur pour dérouler les éléments de l’enquête et nous faire plonger de plus en plus dans l’univers qui nous est dépeint. Il y a un petit air de True Detective dans The Outsider, c’est un compliment. La photographie se veut elle aussi terne et sombre, à l’image du drame qui s’est joué (le meurtre du petit garçon) et de celui qui est en train de se jouer (car l’affaire est loin d’être terminée et se révèlera tentaculaire). Une noirceur d’un cruel réalisme qui colle aux blessures des personnages, qu’ils soient victimes ou flics.
Une intensité rare
Ben Mendelsohn (Bloodline, Rogue One) incarne, avec une intensité rare, Ralph Anderson, un flic en proie à cette plaie béante qu’est le deuil, à sa tristesse, tout en devant faire face à un prédateur dont il n’arrive pas à croire l’existence. Et pourtant c’est bien au Mal qu’il est confronté, dans ce qu’il a de plus sournois, profond, enraciné. Tout au long des dix épisodes qui constituent le show, le personnage va se battre pour aller au-delà de ses croyances les plus rationnelles. Pour l’aider, l’influencer, à ses côtés, Holly Gibney que les lecteurs ont déjà rencontré dans Mr Mercedes, une détective privée surdouée mais psychologiquement indéfinissable incarnée par Cynthia Erivo. Malgré son talent, l’actrice compose un personnage bien loin de celui imaginé par King. C’est dommage car la série perd tout le sel, l’humour d’Holly, pour en faire un personnage triste, qui ne fait que tirer la tronche, presque antipathique. On lui préférera la version incarnée par Justine Lupe dans la très bonne série Mr Mercedes, bien plus solaire et proche de l’oeuvre de Stephen King.
Au-delà du jeu sincère, tout en finesse de Ben Mendelsohn, c’est bien la mise en scène qui fait toute la force de The Outsider. Les dix épisodes, la plupart réalisés par Jason Bateman, sont ce qui se fait de mieux dans le monde sériel actuel. Soignée et profonde, la réalisation réussie à distiller, au fil des épisodes, une tension qui va crescendo. Dès le premier épisode l’ambiance est posée. Poisseuse, délétère, à la limite de verser dans le glauque, avec en toile de fond la suggestion de ce Mal, The Outsider passe petit à petit à la représentation de cet adversaire indicible qui va prendre vie. Alors, la série change de calibre et nous expose toute sa violence, sa cruauté, pour nous montrer l’horreur dans ce qu’elle a de plus réelle avant de finir dans un final explosif. Oui, cela valait le coup d’aller jusqu’au bout, de laisser chaque détail, chaque rouage, prendre place.
The Outsider est une série patiente et réfléchie, où chaque détail est pesé, placé en temps voulu pour passer du rationnel à l’irrationnel, de la violence de la réalité à l’horreur du fantastique. A cela s’ajoute le jeu d’une intensité rare de Ben Mendelsohn, une intrigue qui ne cesse de muter pour surprendre le spectateur et une esthétique somptueuse. The Outsider est tout simplement l’une des meilleures adaptations de Stephen King, l’une des plus fidèles, profondes, dont l’ambiance poisseuse et angoissante, sous fond de mélancolie, rend le plus hommage au style du célèbre écrivain. A voir dès maintenant sur OCS.