Jadis, à la toute fin des années 90’, est sorti un ovni dans l’univers du jeu-vidéo. Il s’agissait de Planescape : Torment, un RPG qui a révolutionné le genre et a été acclamé par la critique. Dix-huit ans plus tard, désireux de le remettre au goût du jour, les petits gars d’inXile ont lancé une campagne de crowdfunding pour lui offrir une suite Torment : Tides of Numenéra. Le financement via Kickstarter fut un énorme succès, le jeu beaucoup moins.
Torment : Tides of Numenéra vous projette un milliard d’années dans le futur. Huit civilisations majeures se sont succédées et se sont effondrées pendant cet interminable laps de temps, atteignant chacune le firmament de leur puissance, de leur science et de leur spiritualité avant de laisser place à la suivante. Dans ces temps futurs, vous incarnez une conscience prise d’amnésie et fraichement transférée dans un nouveau corps. Vous êtes le reliquat d’une sorte d’immortel que l’on nomme le « Dieu Changeant ». Votre quête ? Trouver des réponses en cherchant à démêler les nœuds de votre conscience mais également comprendre ce mal qui vous ronge et qui semble vouloir vous détruire, l’Affliction. Vous suivez toujours ?
Dans la perspective isométrique que propose le jeu, et si l’on excepte les arcanes de votre esprit, ce sont les régions des Récifs des Mondes Déchus et des Falaises de Sagus que vous découvrirez dans les premiers instants. Ces lieux seront les premiers d’une longue série où il vous sera possible de vous attarder à l’infini, fouillant chaque buisson où discutant avec un nombre apparemment illimité de PNJ. Car c’est bien là que se cache l’essence même du jeu, les dialogues. Dans un monde riche, envoûtant et très détaillé, vous rencontrerez une multitude de personnages allant de quelques compagnons de route à d’autres parties de vous en passant par de simples quidams. Et avec chacun, vous pourrez discuter, encore et encore…
Torment : Tides of Numenéra est un étrange mélange entre un jeu-vidéo et un livre. Disons-le clairement, la lecture des dialogues représente l’immense majorité du temps de jeu et si quelques rares combats émaillent l’histoire, ils sont le plus souvent inintéressants. Et c’est peut-être là que le bât blesse car même un féru de lecture ne s’assied pas devant sa console pour dévorer des pages entières. Le confort de lecture est inexistant et la tentation devient vite grande de lire en diagonale des dialogues qui semblent parfois interminables. Pourtant, le concept « un livre dont vous êtes le héros » appliqué à un jeu-vidéo nous semblait prometteur mais il n’a pas été poussé assez loin. Dans ces derniers, chaque décision entraîne une réaction immédiate et il faut donc bien peser chaque question que l’on pose ou action que l’on effectue. Si Torment : Tides of Numenéra propose diverses types de questions à soumettre à nos interlocuteurs, on peut regretter que nos choix n’orientent pas définitivement la conversation. Il est au contraire possible de poser toutes les questions proposées à chacun des personnages ce qui conduit inévitablement à de (trop) longs dialogues.
Hormis cet aspect verbeux bavard qui rebutera incontestablement tout joueur n’étant pas un fan absolu du genre, que dire de l’univers dans lequel nous plonge l’équipe d’inXile ? Certes, les décors dans lesquels évoluera le joueur sont soignés et le monde médiévalo-magico-futuriste est très détaillé. Peut-être trop justement. Découvrir la terre dans un milliard d’années, n’est-ce pas pousser le concept trop loin et quelque part perdre le joueur dans un ensemble trop déconnecté de la réalité et trop complexe ? A peine a-t-on débuté l’histoire que l’on nous parle de Cyphers, de Nychtêméron ou d’une boîte à énigmes interdimensionnelle. Certes, ça a le mérite de plonger immédiatement le joueur dans le personnage qu’il incarne puisque lui-aussi est complètement perdu dans ce nouvel univers mais gageons que cette mise en situation brutale risque de dégoûter les gamers les moins patients.
En conclusion, s’il n’est pas à la hauteur de son illustre aîné et qu’il est loin d’être exempt de tout défaut, Torment : Tides of Numenéra a au moins le mérite de proposer quelque chose de rare dans l’univers actuel des jeux-vidéos. Il est toutefois à réserver exclusivement aux fanatiques du genre que des heures de lecture ne rebutent pas. Aux autres, les nerveux de la gâchette qui se réfugient dans les jeux-vidéos pour éteindre leur cerveau quelques instants, nous disons : fuyez sans vous retourner !