Jouant à la fois des gangsters, des policiers et même une réincarnation du diable, Al Pacino a réussi à s’imposer comme l’un des meilleurs acteurs de ces dernières décennies. Retour en quelques points sur l’une des légendes vivantes du cinéma.
La passion du théâtre
Avant d’être un homme de cinéma, Al Pacino est surtout un homme de théâtre. Récemment, le 25 avril 2023, il est même venu à la salle Pleyel à Paris pour renouer avec son amour du théâtre. Très admiratif de Shakespeare, il rend hommage à sa pièce Richard III (qu’il avait déjà jouée au théâtre) en réalisant Looking for Richard en 1996.
Des années plus tard, en parlant de sa première montée sur scène : « Quelque chose m’a traversé : c’était comme si je pouvais enfin m’exprimer. Je suis né à ce moment-là, d’une certaine manière. C’est là que j’ai su ce que je voulais faire de ma vie » (à 7:40 dans le documentaire Arte Al Pacino, le Bronx et la fureur).
Des rôles entre fiction et réalité
Il entre à 26 ans à l’Actors Studio, où il apprend la très célèbre « Méthode ». Elle consiste à fusionner l’acteur et son personnage à l’aide de ses propres émotions pour l’incarner à la fois physiquement et mentalement. Cette méthode le suivra toute sa vie. Très ancré dans son époque, Al Pacino joue à la fois des personnes réelles (notamment dans Serpico et Un après-midi de chien de Sidney Lumet) et des personnages qui reflètent le contexte de son époque (comme Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg, qui reprend la situation des junkies des années 70 à New York, ou Scarface de Brian de Palma, dont l’intrigue se passe sous le régime de Fidel Castro).
Al Pacino dans Serpico de Sidney Lumet
New York est en effet son terrain de prédilection : il y a grandi et a connu les déboires de la ville dans les années 70. A New York, ses personnages sont libres ; ils peuvent se cacher ou au contraire faire régner la loi. Elle est une ville en perpétuel mouvement, ce qui définit bien l’image d’Al Pacino. New York représente à la fois son cocon personnel et le point d’ancrage de sa carrière professionnelle.
De plus, l’acteur se trouve plus à l’aise dans les espaces contraints et contrôlés. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il refusera de jouer dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, car le tournage exigeait de passer plusieurs mois dans la jungle.
A la recherche d’un corps : les bandits
Son premier rôle dans un long-métrage au cinéma est celui de Bobby dans Panique à Needle Park. Le film sort en 1971 et Al Pacino joue un drogué vivant à New York. Ce rôle lui ouvrira d’ailleurs les portes de la célèbre trilogie de Francis Ford Coppola, Le Parrain. Ces rôles torturés et interdits se succèdent dans sa carrière (Un après-midi de chien de Sidney Lumet, Scarface et L’Impasse de Brian de Palma, Donnie Brasco de Mike Newell…). D’ailleurs, Sonny dans Un après-midi de chien est l’une des meilleures performances de l’acteur. En jouant ce jeune braqueur de banque, il réussit avec brio à mélanger force et fragilité. Toujours en mouvement, il occupe l’espace avec rapidité et ne s’arrête jamais.
A la recherche d’un corps : les hommes de loi
En plus de jouer des brigants, Al Pacino revêt la veste du policier dans Serpico en 1973, puis dans La Chasse sept ans plus tard, dans Mélodie pour un meurtre en 1989 ou encore dans l’incontournable Heat de Michael Mann. Il joue même un agent du FBI dans Donnie Brasco en 1997. Entre voyou et symbole de la sécurité, la ligne est très fine pour l’acteur. Il n’a d’ailleurs aucun problème à s’adapter aux deux camps. Que ce soit les doutes qui assaillent Michael Corleone et Sonny, ou les angoisses de Serpico et du lieutenant Vincent Hanna, chaque personnage est incarné et survolté. Même lorsqu’il joue un homme plus âgé dans Le Parrain 3 ou Le temps d’un week-end, il parvient à jouer la sagesse tout en débordant d’énergie.
Pour autant, sa carrière contient quelques tapages. C’est le cas de La Chasse de William Friedkin, qui fait scandale lors de son tournage et constitue un échec à sa sortie. Le long-métrage révolte la communauté gaie de New-York, car il présente une image caricaturale des homosexuels, adeptes aux pratiques sadomasochistes. Al Pacino reniera ce film toute sa vie.
Scarface
Avec Scarface, Al Pacino donne un nouveau souffle à sa carrière. Il retrouve un rôle interdit et fantasmé en Tony Montana, qui permet de redessiner son jeu d’acteur. Scarface est l’un des films les plus illustres à la fois de Brian de Palma et d’Al Pacino. Le long-métrage est devenu une référence de la pop culture. Certaines répliques cultes planent encore sur les esprits ! L’acteur s’est d’ailleurs beaucoup imprégné du jeu de Paul Muni, qui joue Tony Camonte dans le film original de 1934. Il est inspiré par sa fougue et par son jeu vif et extrême. Dans une interview accordée au magazine GQ, il affirme : « Ce type (…) était très inspirant. (…) La seule chose à laquelle j’ai pensé, c’était d’imiter Paul Muni« .
Dans Scarface, Al Pacino présente un corps plus marqué, avec une cicatrice sur le visage et un tatouage sur la main. Son visage longtemps juvénile se durcit définitivement et sa voix se transforme pour adopter l’accent cubain. Cependant, la « Méthode » de l’Actors Studio s’éloigne : Tony Montana est un personnage caricatural et démesuré. Al Pacino retrouve donc sa méthode théâtrale et surjoue avec finesse.
Après Scarface, qui marque le début des années 80, Al Pacino peine à se retrouver dans les blockbusters qui inondent la décennie. En 1985, il marque une pause de quatre ans après avoir joué dans Révolution. Il revient en 1989 avec Mélodie pour un meurtre de Harold Becker.
La nouvelle génération pacinienne
Les années 90 marquent un renouveau dans sa carrière. Il quitte définitivement Michael Corleone avec le dernier opus de la trilogie du Parrain et s’efface au profit d’autres acteurs et actrices. Il retrouve ainsi Michelle Pfeffer dans Franckie et Johnny, met en lumière le tout jeune Chris O’Donnell dans Le Temps d’un week-end, puis retrouve la tête d’affiche avec L’Impasse de Brian De Palma.
En 1995, le rêve de nombreux cinéphiles est exaucé : Al Pacino et Robert De Niro se partagent l’écran dans Heat de Michael Mann (dans Le Parrain II, ils jouaient à une époque différente). Il joue ensuite avec des étoiles montantes du cinéma, tel que Johnny Depp dans Donnie Brasco en 1997 puis Keenu Reeves dans L’Associé du Diable la même année.
Al Pacino et Keenu Reeves dans L’Associé du Diable de Taylor Hackford
Les années 2000 marquent sa collaboration avec Christopher Nolan dans Insomnia et sa participation à Ocean’s Thirteen de Steven Soderbergh. Mais c’est à la fin des années 2010 que les rôles prestigieux se bousculent. 2019 signe sa collaboration avec deux grands réalisateurs : Quentin Tarantino dans Once upon in Hollywood et Martin Scorsese dans The Irishman, où il retrouve Robert De Niro. Il joue ensuite dans House of Gucci de Ridley Scott en 2021, et est annoncé au casting du prochain film de Johnny Depp, Modigliani, prévu pour 2024.
En définitive, avec son jeu expressif et à fleur de peau, Al Pacino a su conquérir Hollywood malgré ses réticences à l’égard de la célébrité. En dépit des échecs et déceptions, l’acteur est toujours resté fidèle à l’art dramatique, qui l’avait sauvé dans sa jeunesse et qui continue encore aujourd’hui d’inspirer les nouvelles générations.
Note : Pour écrire cet article, je me suis aidée du livre Al Pacino, Le dernier tragédien de Christophe Damour, et du documentaire Arte Cinéma, Al Pacino, le Bronx et la fureur.