Il y a deux ans, Netflix frappait très fort en dévoilant The Haunting of Hill House, série anthologique horrifique qui adaptait à merveille (et librement) Maison Hantée de Shirley Jackson. Une belle adaptation qui reposait sur le superbe travail scénaristique de Mike Flanagan et de son équipe qui réussissaient l’exploit de s’appuyer sur le matériau de base tout en le modernisant pour livrer une oeuvre autour du deuil et des traumatismes de l’enfance. Réussite également due au solide casting qui incarnait les personnages de la famille Crain, et à une réalisation précise, technique et imaginative.
Deux ans plus tard, Mike Flanagan nous propose un nouveau chapitre de son anthologie The Haunting of en nous invitant à entrer dans Bly Manor. Toujours à l’écriture, l’auteur a laissé cette fois-ci sa place derrière la caméra à toute une équipe de metteurs en scène. Beaucoup plus personnelle, plus intimiste, plus lente mais vénéneuse, Bly Manor est différente de Hill House. Et c’est cette différence, ce refus de proposer encore et toujours la même chose, qui en fait un petit bijou de terreur.
N’ayez pas peur, suivez-moi pendant ces quelques lignes, et franchissons ensemble les portes du manoir de Bly. N’ayez crainte, le précédent lecteur en est ressorti vivant, enfin je crois…
Reconsidérer les attentes
Comme pour Hill House, Bly Manor est une adaptation libre d’un classique de la littérature d’épouvante, ou plutôt de deux. Pour cette nouvelle saison, Mike Flannagan s’est appuyé sur Le Tour d’écrou d’Henry James et Les Innocents de Jack Clayton. Avec un sacré défi à relever, celui de faire aussi bien voire mieux que The Haunting of Hill House (succès à la fois critique comme public). Un exercice de funambule pour un défi impossible à relever. Pourquoi ? Pour une simple histoire de paradoxe. D’un côté, le public a déjà été ébloui, choqué par les retournements de situation, par la manière de raconter de la première oeuvre ; il souhaite donc voir quelque chose d’original, qui ne fera pas dans la redite, avec la capacité de le surprendre. Mais en même temps, de manière presque schizophrène, il souhaite retrouver ce qui l’a touché la première fois. En bref, le public veut de l’originalité tout en restant en terrain familier.
Deuxième point, à une époque où tout va trop vite, où le public veut du divertissement, de la facilité, ne pas s’ennuyer, où le monde des séries (tout comme celui du cinéma) est formaté pour divertir au plus vite ; réaliser une série que l’on pourrait qualifier de contemplative dans sa première partie (certains diront ennuyeuse), qui prend le temps de dévoiler toutes les ramifications de son scénario et d’installer une ambiance, est franchement risqué et va à l’encontre des attentes d’une grande part du public qui se croit au fast-food. Rapide et gras donc (coucou La Casa del Papel, entre autres).
Pourquoi ce verbiage psychanalytique, me direz-vous ? Pour provoquer, c’est certain. Pour vous faire réagir, pourquoi pas. Mais surtout pour vous donner envie de laisser une chance à cette série que certains pourraient qualifier de » pas à la hauteur des attentes « .
Lente et vénéneuse
Lente et vénéneuse, deux qualificatifs qui résument parfaitement The Haunting of Bly Manor. Une saison que l’on pourrait également décrire comme narrant les différentes nuances de l’amour : premier amour, amour oublié, trahit, impossible, transcendé… Bref, un récit très personnel et romanesque, complexe et émotionnel, sombre et dévastateur, autour de l’amour.
Le postulat de départ est assez simpliste, presque déjà vu : une jeune gouvernante américaine, Dani Clayton, débarque dans un vaste manoir anglais pour s’occuper de deux orphelins. Malgré son enthousiasme, elle ne peut ignorer le malaise ambiant. Tout comme elle ne peut ignorer les blessures de son passé. Pour incarner cette gouvernante, nous retrouvons l’excellente Victoria Pedretti, comédienne qui avait marqué la première saison (plusieurs de ses camarades reviennent également dans d’autres rôles). Mention spéciale aussi aux deux petits acteurs (futurs grands acteurs ?) qui incarnent les enfants, Flora et Miles, avec une justesse touchante.
Simpliste, la narration l’est bien pendant la première partie de saison, avec quelques longueurs de-ci de-là. De manière à installer son ambiance pesante qui va alors s’insérer dans votre esprit pour ne plus vous lâcher à partir de l’épisode 5. Inouï, percutant. A partir de cet épisode, la série bascule totalement, explose la routine narrative, déstabilise, se joue de la temporalité, avant de s’achever sur un final percutant. Une claque, un piège qui se referme sur nous.
Comme souvent dans les œuvres de Mike Flanagan, ce sont les relations humaines qui sont au cœur de l’intrigue ; les drames et failles de la vie, et les traumatismes deviennent son terrain de jeu pour nourrir les émotions du spectateur et sa peur. Certes, cette dernière est bien moins présente dans Bly Manor que dans Hill House, mais il s’agit d’un vrai pari artistique de ne pas resservir le même plat. Point d’horreur pure ici, mais plutôt une ambiance pesante, suffocante, comme si tout pouvait se renverser à n’importe quel moment. A ce sentiment de peur toujours caché en arrière plan se mêlent la tristesse, la mélancolie et la poésie pour livrer un récit profondément touchant.
Enfin, Bly Manor se démarque par sa mise en scène. Flanagan n’a, cette fois, pas réalisé tous les épisodes mais laissé la main à plusieurs metteurs en scène. Moins technique (pas de plan séquence magistral), plus contemplative, ce qui sert une fois encore le récit et marque la différence avec la première saison.
The Haunting of Bly Manor est l’exact opposé de Hill House. Une démarcation totalement assumée pour un un vrai pari qui touche en plein cœur. Une saison puissante, notamment dans sa seconde partie renversante. Plus qu’une histoire de fantômes, il s’agit avant tout d’une histoire d’amour (impossible) à la fois triste et mélancolique qui mérite le coup d’oeil !